Il y a quatre ans, le 22 février 2019, a commencé le Hirak en Algérie par lequel des centaines de milliers de citoyens ont manifesté pour exprimer leur refus de la candidature à un 5èm mandat du président sortants, déjà bien malade avant le 4ème mandat (2014) qui était de trop. La majorité de la population avait perçu le 5ème mandat comme une provocation de la part de décideurs qui semblaient croire que le choix du président ne concerne pas la population.
La spontanéité et la ferveur populaires ont été une réaction pour restaurer, au moins symboliquement, la dignité de l’Etat bafouée par l’image d’un président handicapé, poussé sur une chaise roulante et incapable de parler. Après avoir hésité et menacé au mois de mars, le commandement militaire avait pris la mesure de la détermination des manifestants à s’opposer à la reconduction mécanique d’un cadre faisant office de Chef d’Etat.
La candidature a été finalement retirée et, le commandement militaire, par la voix du Chef d’Etat-Major, le général Gaïd Salah, a exigé publiquement la démission du président sortant.
Deux sorties de crise étaient sur la table. La première a été que le commandement militaire engage, par civils interposés, des discussions pour une réforme avec les partis et les associations de la société civile en vue d’un retrait graduel des services de sécurité du champ politique.
La seconde était que le commandement militaire renouvelle la façade civile du régime, et demande à l’administration de faire élire un nouveau président dont la légitimité électorale, quel que soit le taux de participation, donnerait une base légale à la répression du mouvement de protestation.
C’est cette dernière solution qui a été choisie par les décideurs qui ont raté l’occasion de mettre fin à la situation créée par le coup d’Etat de l’appareil militaire contre le GPRA en juin 1962.
L’élite militaire ne semblait pas et ne semble pas prête ni culturellement, ni politiquement à se mettre sous l’autorité de dirigeants civils élus issus de scrutins libres. Les militaires ne croient pas en la capacité d’élites civiles élues librement de diriger et de protéger l’Etat. Ils n’arrivent pas à dépasser la situation historique du mouvement national qui a dû militariser la politique pour arracher l’indépendance.
La construction de l’Etat de droit exige la démilitarisation du champ politique et enlever la tutelle des services de sécurité qui contrôlent la société civile et tous les rouages de l’Etat. C’était l’aspiration des centaines de milliers de manifestants qui protestaient politiquement sans recourir à la violence et qui clamaient qu’ils ne sont ni contre l’armée ni contre les services de l’Etat. Le message était que la politique doit se faire sans violence.
En effet, pendant deux ans de marches hebdomadaires qui avaient drainé des centaines de milliers de manifestants dans les principales villes du pays, il n’y a eu ni voitures brûlées, ni vitres cassées, ni dégradations d’édifices publics, ni policiers agressés. Les manifestants se sont imposés comme des acteurs politiques non violents, ce qui était un signe de maturité. Ce message-là n’a pas été reçu favorablement par les officiers supérieurs formés dans la culture de la primauté du militaire sur le civil qui a conduit à la promulgation de l’article 87 du code pénal qui criminalise la protestation politique.
Cet article fabrique la notion d’ennemi intérieur, mettant en avant le chef d’inculpation d’atteinte à la sécurité de l’Etat et de division de la nation. Par ailleurs, toute opinion libre contraire au discours officiel est réprimée dans le cadre de cet article qui ne résout pas la crise, mais qui ne fait que la reporter.
La crise réside dans le décalage entre des décideurs qui sont dans le pré-politique et des acteurs sociaux qui sont désormais dans le politique.