Vous étiez nombreux à souligner l’escalade du feuilleton OuledMoufida, dès son premier épisode, vers l’insignifiance voire la médiocrité (pathologie du contenu et amateurisme indigeste et prétentieux de la forme). A ce verdict sévère, il y’a eu plusieurs tentatives d’explications et quelques questionnements.
Dans l’ensemble, on pourrait les résumer à deux grandes hypothèses :
1- Sami Fehri fait son business et n’a aucune prétention de qualité (aucune sincérité et aucune ambition d’estime),
2- le public le suit donc il mérite cette médiocrité.
Succinctement, je donnerai mon avis sur ces deux hypothèses :
1- oui Samifehri fait son business : ce n’est pas un enfant de chœur, c’est un professionnel et un investisseur médias. Et il a au moins une ambition de notoriété. Il dispose de moyens considérables (raison pour laquelle, il est et nous sommes en droit de « produits » plus exigeants tant sur le plan de la qualité (trop de mauvais goût) que du contenu (superficiel, symptomatique et rétrograde), il a un excellent retour sur investissement (pub et sms) ce qui lui permet de perdurer et même de s’aventurer dans des registres télévisuels pour lesquels il n’a pas forcément les compétences requises.
Mais de là à dire qu’il est dépourvu de toutes compétences (il serait le pur produit du fric) et de toute sincérité et qu’il n’a aucune prétention de reconnaissance, je ne le pense pas.
En effet, Sami Fehri est intelligent, intuitif, attentif à ce qui se passe sur le plan social (entre crises de tous ordres, perte de repères et fracture sociale) et dispose en plus d’un laboratoire de récits que lui fournit sa propre chaine ( télé réalités : 3andi mé Nkolek, Al Haq Ma3ak, hikayet tounsia qu’il anime lui-même) si on ajoute à cela son propre vécu rocambolesque entre enrichissement licite et illicite, notoriété et prison, il a de quoi concocter des trames narratives qui interpellent le spectateur tunisien ( ce qui explique en partie l’audimat sur 2 années de son feuilleton, Ouled Moufida, ce ramadan à sa troisième saison). Alors qu’est ce qui ne marche pas et lui attire tant de critiques dont les miennes ?
C’est que l’intelligence intuitive, nécessaire certes, n’est pas suffisante ! Je ne m’étalerai pas sur l’aspect esthétique de son feuilleton (incohérent, surfait, tâtonnant et piquant ici et là des références de séries (notamment américaines) inappropriées, cacophoniques et souvent grotesques) pour me saisir que de ce qui interpelle d’abord les spectateurs dits « ordinaires » : le contenu.
En saisissant les crises sociales et leurs violences et leurs décadences : confusion des valeurs, primat implacable de l’argent, tristesse et désespoir, perte du sens de la vie et du Salut… (Et je lui attribue une part de sincérité car je pense qu’il est lui-même, et en raison de son vécu, traversé si ce n’est happé par ces mêmes crises), il ne fait que les traiter à la surface, tel un apprenti médecin (au pire un charlatan guérisseur) qui relève des symptômes mais ne peut en aucun cas faire un diagnostic et encore moins entrevoir la moindre solution.
Du coup et pour faire vite, la parabole du traitement est la même : infraction à la loi ou à la morale- culpabilité primaire- nostalgie d’une morale (qui n’en est pas une) qui résout (évidemment sans résoudre) toutes les questions par le halal et le non-halel et le châtiment divin !
En plus de son inanité et de sa bêtise, cette parabole est évidemment temporaire et conjoncturelle, elle recommence (à chaque épisode, à chaque crise d’un des personnages, pour que le feuilleton lui-même perdure) et tel un serpent qui se mord la queue, s’enlise dans un cercle vicieux :
Rien ne change, aucun dépassement, aucune solution (ne serait ce qu’imaginaire ou relevant d’une éthique réfléchie et souveraine) : Sami Fehri n’entrevoit aucun horizon réflexif, n’a aucune proposition à soumettre et au fond aucune Valeur ou Vison à défendre : je pense que nous sommes là face à ses propres limites.
Et il semble ne pas s’en douter : il donne l’impression de croire en son « génie » et attribuer toutes critiques, toutes réserves concernant son « travail » ( Aamel li Sami Fehri) à la jalousie commune des uns ou à l’indigence prétentieuse d’une élite intellectuelle forcément à côté de la plaque, envieuse et de surcroit improductive ( D’ailleurs, j’ai eu droit à un commentaire d’insultes de la part du comédien Hichem Ben Ammar Rostom, ou alors de celui qui gère son profil FB, qui me taxe de jalousie et d’improductivité). Et je préfère croire qu’une autre personne gère ce profil (que j’ai bloqué).
Un acteur cultivé n’injurie pas et ne se montre pas vindicatif et méprisant dès qu’on touche au « génie » présumé de Sami Fehri. Et en tant que collaborateur, il aurait été plus judicieux, et en tablant sur son expérience d’acteur respecté, de le conseiller et de le pousser à s’interroger…car il va sans le dire que j’ai aucun compte à régler avec Sami Fehri et que je ne souhaite nullement « le mettre en pièces » et que je ne veux, ni peux d’ailleurs, l’empêcher « de travailler ».
2- Non le « public » ne mérite pas cette médiocrité. Le « public » s’accroche (notamment en ce mois de ramadan avec son rituel de productions tunisiennes, rarissimes le reste de l’année) à suivre nos télévisions. Son choix se fait selon l’offre (et il faut croire qu’il n’est pas gâté par les chaines concurrentes) et en l’absence d’études de réceptivité nous ne savons pas dans quelles mesures il suit par adhésion, plaisir, curiosité, lassitude ou habitude…
D’ailleurs, j’ai mis Public entre guillemets car il y a Des publics, et parmi ces publics nous ne savons pas combien sont largués et/ou ne se retrouvent pas dans cette offre globalement faible de notre paysage médiatique (notamment les jeunes, les étudiants, les enfants…).
Mais schématiquement, je souligne que conjoncturellement ce « public » a également plébiscité d’autres productions plus intelligentes et plus exigeantes sur le plan artistique.
Dans l’absolu, se résigner à la médiocrité est la pire des attitudes : le goût concernant l’art et les médias est une question de formation, d’éducation et d’accompagnement sur le long terme et abandonner le « public » au mauvais goût et à la bêtise c’est du même ordre qu’une « non assistance à une personne en danger ».