Le Pacte Fondamental du mercredi 9 septembre 1957 imposé par l’Angleterre et la France à Mhamed Bey était, comme nous l’avons déjà écrit plus haut, le processus qui a mené 24 ans après au Traité du Bardo du 12 mai 1881. L’ALECA serait-elle ce « Pacte Fondamental » qui mènerait une nouvelle forme d’occupation, un néocolonialisme économique ? Force est de constater que le parallèle entre les deux projets est envisageable; en effet, la démarche pourrait être la même car la conjoncture est semblable, comparable. Aussi, entre la proposition européenne et le Pacte de 1857 beaucoup de volets, de chapitres et de demandes sont concordants, concomitants.
Pour la clarté des propos, il est nécessaire donc de commencer par rappeler les caractéristiques du pacte Fondamental pour ensuite en établir le parallèle avec l’Accord de libre-échange complet et approfondi. Ainsi, le lecteur identifiera les points communs et comprendra plus aisément les dangers qui guettent notre nation.
1/ Le Pacte Fondamental de quoi parle-t-on ?
Mhamed Bey (1811 – 1859) avait ordonné en juillet 1957 l’exécution de Batto Dfez, un juif qui avait insulté un cocher ainsi que sa religion musulmane. Cette exécution avait provoqué une levée de bouclier dans les chancelleries européennes. Une flotte française surarmée débarque en août à la Goulette : l’Amiral commandant cette flotte et l’ambassadeur de France ordonnent au souverain d’entreprendre sans tarder les réformes de son royaume. Sur le même ton et avec le même élan de solidarité entre occidentaux, Richard Wood le consul d’Angleterre, ordonne au Bye le même message.
Le Bey pour sauver son trône avait cédé aux demandes européennes. Il ordonne à son secrétaire Ibn Abi Dhiaf de rédiger à partir de ces exigences une « déclaration de droits » en onze points qui a pris le nom de « Pacte Fondamental » :
« Les articles portent sur :
• La sécurité des personnes et des biens (art.1)
• L’égalité de traitement en matière fiscale (art.2) ;
• L’égalité de traitement en justice entre musulmans et non musulmans (art.3)
• Le respect de la pratique religieuse des non musulmans (art.4)
• La réglementation et la limitation du service militaire (art.5)
• L’association d’un représentant des non musulmans à toutes juridictions jugeant au non musulmans (art.6)
• L’institution d’un tribunal de commerce avec participation des étrangers selon des accords à conclure (art.7)
• L’égalité de tous les sujets dans les affaires coutumières ou légales (art.8)
• La liberté du commerce (art.9)
• La liberté pour tout étranger de pratiquer tout métier à condition de respecter les lois du pays (art.10)
• La liberté pour tout étrangers s’installant dans le pays de posséder tous fonds de maison, verger, terrain à condition de respecter les lois en vigueur (art.11
Autant dire qu’il ne manquait plus que l’occupation militaire. Un tel dispositif avait pulvérisé –gazéifié- l’économie tunisienne et sonné le glas de notre souveraineté nationale. Ainsi, pour reprendre les termes de Bismarck qui encourageait la France à occuper la Tunisie pour la détourner de l’Alsace-Lorraine : « la poire tunisienne est mûre et il est temps pour vous de la cueillir. ». La poire a été cueillie le 12 mai 1881.
2/ L’ALECA :
Michaela Dodini, vice-ambassadrice de l’UE à la Délégation de Tunis, responsable de la section commerciale, avait déroulé lors d’une table ronde organisée, samedi 13 décembre 2014 à la Bibliothèque Nationale de Tunis, les objectifs et surtout les attentes de l’UE de l’Aleca qui se résument grosso modo comme suit :
L’accès aux marchés des biens et services sans entrave, au même titre que les investisseurs locaux.
• L’accès des entreprises étrangères à la propriété des biens immobiliers.
• L’amélioration du niveau et des mécanismes de protection des investisseurs.
• Le règlement des différends entre investisseurs et états (RDIE) ne devrait plus relever des tribunaux locaux. Il faudrait conclure des traités spécifiques pour mieux garantir la protection des investissements. « La Commission européenne est déterminée à renforcer l’équilibre entre le droit des états à règlementer dans l’intérêt de la société, et la nécessité de protéger les investisseurs. » a-t-elle précisé.
• L’alignement de la règlementation économique tunisienne sur les règles de la législation européenne.
• L’adoption de la législation communautaire dans les domaines tels la propriété intellectuelle, la politique de la concurrence, mais aussi les normes et les standards techniques, les mesures sanitaires et phytosanitaire.
Mme Michaela Dodini avait insisté avec force dans son exposé sur le fait que : « le rapprochement réglementaire permettra aussi aux investisseurs européens de retrouver en Tunisie un climat d’affaires et des règles d’investissements comparables ou proches de celles en vigueur à l’UE, ce qui devra les encourager à investir davantage. »
3/ La synthèse :
Ainsi nous constatons les dangers de la proposition européenne. Les intentions de nos voisins du nord sont pernicieuses, funestes et nocives. Il faudrait donc s’en préserver !
D’ailleurs, l’accord signé en juillet 1995 dans le cadre du processus de Barcelone pour la création d’une zone de libre-échange euro-méditerranéenne n’a pas contribué au développement économique de la Tunisie : il a coûté, d’après le président de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), « (…) une perte annuelle à la Tunisie l’équivalent de 3% du PIB. Ce taux de 3% est un manque à gagner en ressources fiscales en termes d’importations tunisiennes des produits provenant de l’Union européenne. Entre 1996 et 2010, les pertes en ressources fiscales causées par l’application de cet accord sont estimées entre 18 et 24 milliards de dinars. »
Lors de notre prochaine contribution nous reviendrons sur ce sujet avec quelques pistes et propositions pour tenter de préserver nos intérêts. La véritable problématique serait quelles stratégies de développement et comment se servir du libre-échange pour s’insérer judicieusement dans le commerce international. La proposition européenne répond uniquement aux intérêts européens. Croire aux bonnes intentions de l’UE relèverait beaucoup plus de la corruption institutionnalisée plutôt que de la naïveté.