Il fut un temps où la République islamique d’Iran concentrait sur elle toute la méfiance et tout l’opprobre d’une sensibilité qui voit dans l’islam politique le grand écueil des pays de culture musulmane sur leur chemin vers la modernité.
Pour des raisons différentes, certains gouvernements qui se faisaient fort d’afficher leur allégeance à l’autorité de l’islam ont cru nécessaire de mener en direction de la « révolution iranienne » une contre-offensive, dont l’Irak de Saddam Hussein ne fut en son temps que le fer de lance, la partie la plus visible…
De nos jours, le jeu des alliances autour de la guerre qui se déroule en Syrie a fait passer au second plan ces considérations, et la sympathie chez certains a remplacé la suspicion. Il faut dire que, depuis sa naissance en avril 1979, l’Iran issue de la révolution de Khomeïni a su jouer des cartes fortes pour neutraliser les attaques politiques dont elle a fait l’objet et conquérir le soutien de la rue dans les pays arabes. Le pendant diplomatique des « gardiens de la révolution », ce fut d’abord une stratégie de défi à l’égard de « l’impérialisme américain ». Ce fut ensuite une politique d’agressivité verbale contre Israël, dont le but réel n’était pas tant de pousser les Israéliens à la mer, comme l’a affirmé un jour l’ancien président iranien Mahmoud Ahmedinejad, mais de montrer, par contraste, quelle mollesse était celle de ses adversaires arabes vis-à-vis de la cause palestinienne.
Cette façon de monter au créneau contre ceux qui sont considérés par le plus grand nombre comme les responsables principaux d’un certain malheur de la nation arabe devait leur valoir le respect de larges franges des populations arabes, ainsi que de l’intelligentsia du Caire ou de Beyrouth, d’Alger ou de Tunis… Au grand dam des pays du Golfe, en particulier.
On oubliait donc volontiers que les femmes iraniennes avaient obligation de se couvrir les cheveux et le reste du corps pour circuler dans la rue, qu’une sorte de police des mœurs pouvait semer la terreur au nom de l’islam parmi les jeunes ou que l’appartenance à la religion musulmane et la soumission à ses dogmes pouvait constituer une chape de plomb au quotidien pour l’ensemble des citoyens. Mais on oubliait aussi que le jeu pervers des rivalités avait enferré ce pays dans une posture qui le condamnait à un certain isolement, dont son peuple avait à endurer les conséquences.
Aujourd’hui, et 37 ans après sa « révolution », l’Iran entend se frayer un chemin vers des horizons nouveaux et, peut-être, tourner une page. L’élection de Hassan Rouhani, candidat du camp des « modérés », en juin 2013, avait amorcé le processus. Une autre étape dans cette direction a été la signature, en juillet dernier, des accords de Vienne sur la question de l’usage par l’Iran de l’énergie nucléaire. Sachant que, dans la foulée de cette discussion à laquelle ont pris part les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, divers sujets ont pu être évoqués de manière à dégager la voie à une ère qui ne soit pas seulement de fin de l’embargo et des sanctions économiques, mais qui soit aussi de relations économiques et amicales avec le reste du monde.
C’est un pas supplémentaire qui est accompli depuis le 26 février dernier, date des dernières élections législatives. Ce premier tour a permis d’ores et déjà d’apporter un changement profond à l’équilibre des forces au sein du parlement iranien. Jusqu’à cette date, le camp modéré proche du président n’était crédité que d’une trentaine de sièges, contre deux cents pour les conservateurs. Désormais, avec l’appoint de conservateurs modéré, ce camp peut espérer obtenir la majorité, au moins sur certaines questions en débat…
Disons, en tout cas, que la configuration nouvelle promet des luttes parlementaires d’autant plus passionnées qu’elles seront ouvertes et indécises au départ. A moins bien sûr que le deuxième tour, prévu en avril ou mai, ne modifie cette donne. Il ne concerne cependant que 13 % des sièges, pour lesquels le premier tour n’a pas permis de départager les candidats. On saura bientôt si les proches du président Rouhani devront continuer de manœuvrer habilement pour faire avancer leurs pions ou s’ils pourront bénéficier d’un avantage confortable pour faire adopter les réformes qu’ils se sont promis d’engager.
En fait, la journée du 26 février avait un double enjeu. A côté de l’élection législative, il y en avait une autre, plus discrète mais d’une importance assez redoutable : celle des membres de l’Assemblée des experts, qui sont élus pour 8 ans et à qui revient la charge de choisir le Guide suprême. Là encore, le recul des conservateurs est net et confirme une tendance de fond : une volonté très partagée au sein du peuple iranien et de ses élites de sortir enfin de la période de crispation idéologique et d’antagonisme à l’égard de l’Occident et de ses « suppôts », proches ou lointains.