Ce jour est manifestement à marquer d’une pierre blanche. Mon chat César tourne et vire autour de ma chaise, m’observe de longues minutes avec attention et vient se frotter langoureusement contre ma jambe tandis que je bois mon café matutinal.
Autant d’empressement est tout à fait inhabituel. Conscient de l’étrangeté de la situation, je me lève malgré tout pour ranger ma tasse vide dans l’évier lorsqu’il lâche un sourd grognement de gorge à faire fuir le plus intrépide des mulots.
J’aperçois alors sa gamelle repoussée jusque sous la table. Vide. Les croquettes dont je l’approvisionne régulièrement sont pure flatterie de ma part. La chasse suffit théoriquement à satisfaire ses besoins. Il n’en considère pas moins cette friandise comme un dû. Je me précipite donc dans la réserve. Le paquet est lui aussi épuisé. Je vais devoir aller "faire des courses" au supermarché de la ville.
Outre le fait qu’il pleut à torrents, j’ai la nette impression que la moitié de la population s’est donné rendez-vous dans les allées du magasin. Il me faut jouer des coudes avec ardeur et obstination pour parvenir au rayon "alimentation animale". Mais profitant sans doute de ma longue absence depuis ma dernière visite, le responsable du marketing l’a délocalisé. Manœuvrant entre les charriots des clients et ceux de réassortiment du personnel, fuyant les attroupements de mamies agglutinées çà et là pour parler de la coqueluche du petit-fils ou du psoriasis de la voisine et évitant les réunions de séniors évoquant quelque conscrit de leur voisinage bêtement décédé d’un arrêt cardiaque, j’atteins enfin mon objectif entre l’étal alloué au bricolage et celui attribué à la pêche.
Ne me reste plus qu’à choisir la caisse la moins sollicitée. La plus grande partie des ménagères qui se baguenaudaient jusqu’ici sous le prétexte de ravitailler leur réfrigérateur, n’attendaient hélas que ce moment pour déverser sur les tapis roulants des montagnes d’emplettes. J’ai figure misérable avec mon unique paquet. Mais la caisse réservée aux acheteurs de moins de dix articles se présente soudain devant moi.
Une main suffit pour compter les clients qui me précèdent. J’ai bon espoir de ressortir bientôt de cette antichambre de l’enfer. Las ! Comme chacun l’a déjà expérimenté, les autres caissières sont toujours plus affables et plus rapides que la vôtre. La mégère au parler si peu châtié qui tenait bruyamment la dixième place au moins dans la file d’à côté en est déjà à rechercher le code confidentiel de sa carte bancaire quand vous n’avez pas encore avancé de plus de trois pas.
Avant que la tignasse de ses cheveux n’ait viré au gris, Albert Einstein prétendait que le temps n’existe pas. Du moins tel que nous le vivons entre passé, présent et avenir. Sylvie Droit-Volet, éminente chercheuse en psychologie sociale à l’université Clermont Auvergne, affirme de son côté que le temps ne passe pas plus vite pour les jeunes que pour les vieux et inversement. Soit ! Force est pourtant de reconnaître que le temps d’attente se révèle généralement plus long pour vous que pour les autres. Ce qui laisse bien des choses à penser au sujet de l’avancée réelle des connaissances scientifiques.