Mon amie Marthe Dumas, du mas du Goth, m’avait prévenu. Ne surtout pas travailler au jardin ce mercredi 9 mars à 7h31’ à cause du redoutable nœud lunaire qui étrangle irrémédiablement toute germination de semis et toute reprise de boutures de géraniums.
J’aurais volontiers obéi à cette injonction en prolongeant ma grasse matinée quotidienne jusqu’à huit heures moins cinq au moins. J’avais hélas oublié d’en avertir mon chat César. C’est dès les premières lueurs du jour qu’il s’en revient de sa chasse nocturne en compagnie d’une dulcinée plutôt bruyante. Force m’est donc de me lever et de lui ouvrir la porte pour retrouver un peu de paix.
Je n’ose imaginer, tandis qu’il s’installe sur mon fauteuil pour sa toilette rituelle, les scènes de débauches auxquelles ils se sont sans aucun doute adonnés dans l’ombre de la lune noire sous le prétexte d’œuvrer à la survie de l’espèce féline.
Pour moi, après avoir attisé les braises de la cheminée et bu un revigorant café noir tout en écoutant l’émission matutinale de Vincent Josse et Nicolas Lafitte, se présente le moment d’organiser ma journée. Or, outre les conseils des disciples de Séléné, les perturbations météorologiques, qu’elles soient ou non liées au réchauffement climatique, s’appliquent elles aussi à dissuader le plus entreprenant des jardiniers. C’est donc sans remord que je me résigne à une douce oisiveté culturelle.
Les sonates pour piano de Franz Schubert, par exemple, interprétées par Daniel Barenboïm créeraient tout naturellement un environnement musical fort propice à une rêveuse cogitation. À moins que mon choix ne s’oriente vers les Années Pèlerinage de Franz Liszt sous les doigts de Bertrand Chamayou. Elles portent dans leurs longs arpèges une si belle invitation au voyage et à la méditation !
C’est le téléphone, cet effroyable instrument de torture pour masochiste post-moderne, qui tranche. Non madame, je n’ai pas l’intention de refaire la toiture de ma chaumière, ni d’échanger les contrevents en bois contre des volets roulants en plastique ! Je repose à peine l’appareil sur sa "base", que la porte de la cuisine s’ouvre sur un tonitruant « Y a quelqu’un ? ». Le regard que me jette César ne me laisse aucun doute quant à de futures rétorsions de sa part. Je me précipite donc. Chaussé de bottes crottées jusqu’aux genoux, mon futur voisin de l’autre côté de la route piétine gaillardement le parquet du salon. « Les batteries de mon portable sont mortes. Est-ce que je peux… ? » Il peut, bien sûr.
Bien que retranché dans mon bureau, je peux jouir pleinement de sa conversation avec un interlocuteur qui ne semble guère adhérer à ses demandes pressantes. Un retentissant « merci » escorte bientôt un claquement rageur de la porte. Quelque peu décontenancé, je tente de choisir entre le Palmyre de Paul Veyne et l’attaque du deuxième chapitre d’Écoute le Chant du Vent de Haruki Murakami lorsque retentit l’appel de la factrice depuis sa camionnette jaune. Je la retrouve sur la terrasse pour signer le récépissé de recommandé qu’elle me tend avec son sourire habituel.
L’enveloppe contient un courrier officiel de ma caisse de retraite m’avisant qu’ayant trop prélevé sur mes droits d’auteur "touchés" en 2014, l’administration m’octroie gracieusement un avoir sur ceux de 2015. Jean Guitton a dit que l’étonnement est source de pensée. Il ne savait pourtant pas que le montant en question s’élèverait à la coquette somme de 18 euros. On voit par-là combien sont imprévisibles les chemins du futur. Ce qui laisse ainsi bien des choses à penser…