De l’indépendance de la Banque centrale tunisienne : Essai sur les modèles américain, européen et chinois

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La Commission des finances au sein de l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) examine depuis le 7 mars un projet de loi 64-2015 fixant un nouveau statut de la Banque centrale tunisienne (BCT). Les modifications visent à attribuer à la BCT plus d’indépendance par rapport au pouvoir public.

Des voix de la Gauche souverainiste s’insurgent pour dénoncer avec vigueur et détermination les pressions exercées en ce sens par les institutions financières internationales ; elles pointent aussi la rapidité avec laquelle la Commission des finances avait examiné ce projet. Une rapidité qui inspire, jette, le soupçon, le doute et la méfiance. D’autant plus, cette Commission a pris la fâcheuse habitude de procéder ainsi ; c’est-à-dire dans la rapidité et peu de transparence. En effet, le projet de loi numéro 68-2015 sur le nouveau code d'investissement ou encore le projet de loi numéro 009-2016 à propos de la réforme des banques et les institutions financières ont bénéficié du même traitement.

La problématique de cette contribution, comme le présage le titre, est de tenter d’analyser les modèles en vogue pour en entrevoir l’organisation la plus proche de nos spécificités sociopolitiques et culturelles, et surtout la plus appropriée pour nos modestes moyens économiques.

En réalité, derrière la problématique de l’indépendance de la Banque centrale (BC) se cache la question déterminante à savoir, l’indépendance de la politique monétaire et ses instruments : l’émission monétaire, le taux directeur d’intérêt et le taux de change. L’exécutif (le gouvernement) dans ce cas serait maître que de la politique budgétaire : politique fiscale, salariale, sociale,… Et le Gouverneur de la BC serait maître de la politique monétaire.

Pour la suite de mon analyse, je me forcerai de montrer que si l’indépendance de l’institution est la condition sine qua none de sa crédibilité, il n’en demeure pas moins que dans les faits le consensus entre les autorités monétaires et le pouvoir politique devrait être le maître mot, le modèle à suivre par excellence.

1/ De l’indispensable indépendance….

1.1/ L’article 33 de la BCT :

« Conformément à l’article 33 nouveau de la loi n°2006-26 du 15 mai 2006 modifiant la loi n°58-90 du 19 septembre 1958 portant création et organisation de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), la mission principale de la politique monétaire consiste en la préservation de la stabilité des prix. En effet, une bonne maîtrise de l’inflation, telle que reflétée par l’évolution de l’Indice des prix à la consommation (IPC), permet d’assurer une croissance non inflationniste contribuant à la création d’emploi et à l’amélioration du bien être social par la préservation du pouvoir d’achat. » (Site BCT)

Ainsi, l’objectif premier d’une banque centrale consiste à maîtriser l’inflation sous peine d’avoir des conséquences fâcheuses sur l’évolution des taux d’intérêt à long terme. D’où la nécessité de l’indépendance de l’institution à l’égard du pouvoir politique. En effet, cette indépendance est le signe que la banque ne changera pas d’objectifs en raison de pressions politiques. Elle est Aujourd’hui une des caractéristiques fondamentales des banques centrales contemporaines. Aussi, la crédibilité de la banque centrale d’une nation est mesurée par le degré de son indépendance par rapport au pouvoir politique, par la personnalité de son Président mais aussi par la continuité de sa politique monétaire, par sa prudence dans sa prise des décisions et ses réactions face aux fluctuations conjoncturelles.

1.2/ La Bundesbank comme modèle de référence européen

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L’indépendance de la banque centrale est considérée, dans les milieux financiers, comme condition de sa crédibilité. D’ailleurs, c’est ce souci qui avait animé les dirigeants européens lors de la création de la banque centrale européenne (BCE). Leur choix a porté sur le modèle de la Bundesbank car l’Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, a connu une inflation plus modérée que ses partenaires européens en raison de l’organisation de sa banque centrale. La Bundesbank dispose d’une « indépendance opérationnelle » : Elle est libre dans sa conduite de la politique monétaire ; elle ne se réfère donc pas au gouvernement en exercice. La banque centrale allemande n’accorde son soutien à l’exécutif qu’à la condition que cela ne l’écarte pas de sa mission de stabilité des prix./p>

La France, par exemple, était contrainte après sa ratification du traité de Maastricht en 1992 à accorder en effet à la banque de France son indépendance, par la loi du 4 août 1993 : l’article 141-1 stipule clairement «Dans l’exercice des missions qu’elle accomplit à raison de sa participation au Système européen des banques centrales, la Banque de France, en la personne de son gouverneur, de ses sous-gouverneurs ou d’un autre membre du Conseil de la politique monétaire, ne peut ni solliciter ni accepter d’instruction du gouvernement ou de toute personne ». Le financement de l’Etat par le recours à la monnaie centrale (l’idée de financement par la « la planche à billets ») est clairement proscrit dans l’article 141-3 : « Il est interdit à la Banque de France d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprises publics ». Cet article a été ratifié suite à l’accord de Lisbonne de 2008, on parle désormais de l’article 143.

1.3/ L’exemple de la banque centrale chinoise : Une indépendance partielle, interne.

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La Banque populaire de Chine, créée en 1948, au lendemain de la proclamation de la République populaire de Chine, est la Banque centrale chinoise. Elle était l’unique banque de la République populaire jusqu'en 1978. Elle a notamment le monopole de l'émission de pièces et de billets de la monnaie nationale, le Yuan renminbi.

Elle est en charge de la politique monétaire du pays ; elle dispose surtout de la liberté de fixer le taux d'intérêt interbancaire permettant de contrôler la croissance de la masse monétaire en circulation et celle du crédit. Depuis novembre 2014, par exemple, elle a baissé à six reprises ses taux d'intérêt.

En revanche, le régime de change est fixé par les autorités gouvernementales, ainsi que la gestion des réserves de change. Leur gestion est confiée à un organisme connu internationalement sous le nom de State Administration of Foreign Exchange.

2/ …à la nécessité du consensus

Peut-on affirmer pour autant que les autorités monétaires sont totalement ou partiellement indépendantes du pouvoir politique ? La question en effet s’impose : La nomination des dirigeants de la banque centrale n’est-elle pas du ressort des autorités politiques ?

2.1/ La nomination des dirigeants de la BC par l’exécutif serait-elle incompatible avec le principe d’ « indépendance » ?

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Dans le cas de la FED américaine les sept membres dirigeants sont désignés par le président américain et confirmés par le Sénat pour une durée de quatorze ans, durée supérieure à celle de n’importe quel mandat politique, c’est donc cette durée qui leur confère une certaine indépendance. Le président et le vice-président du Conseil des gouverneurs sont nommés pour une durée de quatre ans par le président des Etats-Unis.

Dans la zone euro, les membres du directoire de la Banque centrale européenne sont désignés pour un mandat de 8 ans, non renouvelable, par le conseil des ministres des Finances de l’Union.

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Dans le cas de la Chine, monsieur Zhou Xiaochuan Gouverneur de la banque centrale a été directement nommé, en 2002, par le Premier ministre. Une nomination qui a été approuvée par l'Assemblée nationale populaire.

2.2/ Quelques exemples

Dans les faits, les décisions, d’ordre structurel ou même conjoncturel, sont souvent prises d’un commun accord et après des intenses consultations entre les autorités monétaires et l’exécutif car ils sont tous issus du même establishment politique et financier.

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En effet, Jens Weidmann, Président actuel de la Bundesbank, n’était-il pas, avant sa nomination récente à la tête de cette institution, l'éminence grise de la chancelière allemande pour la gestion de la crise économique en 2009 ? Et Jean-Claude Trichet, qui était Gouverneur de la banque de France avant d’être Président de la BCE, n’était-il pas conseiller auprès de Valéry Giscard D’Estaing en 1978 avant d’occuper en 1986 le poste de directeur de cabinet d’Edouard Balladur au Ministère des finances?

Mieux encore, Monsieur Zhou Xiaochuan fut successivement directeur général de la Bank of China de 1991 à 1995, puis chef de l'administration des changes de 1995 à 1998, président de la banque de la reconstruction de 1998 à 2000, et enfin président de la Commission de régulation boursière de 2000 à 2002, avant d’accéder au poste de Gouverneur.

Ainsi, le consensus est toujours le maître mot entre le pouvoir politique et les autorités monétaires et ceci dans tous les pays. Il y va évidemment de lacrédibilité du pays et de celle de son institution fondamentale, à savoir la BC.

2.3/ Le cas de la Tunisie

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Monsieur Chadly Ayari est dans les rouages du pouvoir depuis au moins 60 ans, il est âgé déjà 83 ans. Il était plusieurs fois ministre et Haut fonctionnaire. Il connait donc parfaitement les atouts et les faiblesses de l’économie tunisienne. En réalité, ses choix sont beaucoup moins contestés que ses déclarations et ses passages médiatiques –je ne m’attarderai pas davantage sur les traits de caractère de monsieur C. Ayari-.

Il convient à mon sens, avant de se lancer dans des réformes qui visent in fine à calquer les modèles américain et européen dont nous n’avons pas les moyens et encore moins la puissance, d’étudier de plus près d’autres modèles de gouvernance entre l’exécutif et les autorités monétaires pour en adopter l’organisation la plus proche de nos spécificités culturelles et économique et surtout la plus appropriée pour nos modestes moyens économiques.

La décision concernant la nature du régime de change doit impérativement relever du parlement. Je sais que certains, des hommes de paille de l’Union Européenne et surtout de la France, cherchent à faire basculer la Tunisie d’un modèle de change flottant. Ça serait suicidaire (pour approfondir ce point, je renvoie les lecteurs à l’interview que j’avais accordé au quotidien le Temps du mardi 20 octobre 2015, disponible aussi sur ma page Facebook).

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