L'Homme est considérable.

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L’air est sec pour une fois et le vent de traverse aussi léger qu’un ronronnement de chat assoupi. Je profite de cette accalmie météorologique pour brûler au fond de mon courtil une masse de courriers obsolètes, de factures acquittées et cent autres facéties administratives périmées. Tel un trait d’union entre la terre et le ciel, une longue fumée blanche disperse bientôt les ultimes témoignages d’un quotidien ordinaire.

Soudain, soulevé par la chaleur et poussé par un toussotement de brise inattendu, un relevé de compte anorexique s’envole à quelques pas du brasier. Je me précipite pour bloquer son élan. Et tandis qu’il achève de se consumer, je songe bien sûr à Joseph Montgolfier qui découvrit ainsi l’art de s’élever dans les airs. L’homme allait enfin réaliser le rêve fou d’Icare, effleurer les nuages et caresser l’azur.

Il ne pouvait encore que se baguenauder au gré des caprices d’Éole mais comme il aime à comprendre, il fouille, il explore, il démonte, il décortique, il dissèque, il analyse, il décompose, il reconstitue, il se trompe, il chute, il se relève, il recommence, il suppose, il calcule, il subodore, il récidive et il trouve.

D’abord reprendre l’idée de l’éolipyle d’Héron d’Alexandrie qui distrayait les salons. Y adjoindre celle du jouet à roues à aubes actionnées par la vapeur de Ferdinand Verbiest. Continuer par la fabrication de l’autocuiseur de Denis Papin même s’il n’a pas vraiment fonctionné. Et demander enfin à Joseph Cugnot de construire son fameux fardier auto mobile. On sait dès lors qu’on ne sera pas obligé de faire tirer son aérostat par un mythique troupeau de rennes pour se déplacer à volonté. Il suffira de fabriquer un moteur actionnant une hélice qui le propulsera.

Louis Blériot traversera bientôt le Channel pour aller déguster son Earl Grey au pied de la Tour de Londres. Saint Exupéry composera son Petit Prince en allant porter le courrier par-delà les mers. La Patrouille de France défilera en bleu-blanc-rouge au-dessus des Champs-Élysées les 14 juillet. Et le jour où d’ingénieux bricoleurs penseront à fixer la chaudière sous l’engin lui-même, on enverra deux hommes marcher sur la lune et planter un orgueilleux et puéril drapeau étoilé qui ne flottera jamais.

Parallèlement, en posant le dit fardier sur des rails et en y accrochant des wagons de troisième classe, on permettra à madame Simone, concierge rue du Faubourg St Honoré, de visiter sa nièce Germaine qui vient d’accoucher à Orléans de jumeaux absolument superbes. En y ajoutant un bar et des couchettes, on stimulera l’imagination d’Ernest Hemingway pour l’Orient-Express et les grands espaces sibériens à la Michel Strogoff. Et en y embarquant quelques auteurs en goguette, on obtiendra la Tangente vers l’Est de Maylis de Kérangal.

Mais le plus grand jour fut peut-être celui qui vit la domestication de l’électricité. Les cuisines se verront alors submergées d’une armée de robots multifonctions connectés directement à votre smartphone. Votre café est désormais prêt lorsque vous rentrez du travail, le bain est à bonne température et votre flammenküeche aux oignons émincés et lardons de poitrine fumée réchauffe dans le four à micro-ondes. On voit par-là combien, depuis la nuit des temps, l’homme de Cro-Magnon est considérable. Ce qui laisse bien des choses à espérer à propos de l’avenir radieux du futur.

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