Le cancrelat domestique aussi.

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Ciel clair et dégagé mais venteux. Au-dessus de nos têtes, les éoliennes ronronnent comme des chattes repues. À leurs pieds, le mari de la pharmacienne se fait didactique. À la tête de la confrérie régionale des investisseurs, il tente de persuader notre petit groupe que non seulement ses engins fournissent de l’électricité écologique, ce qui est bon pour la planète, mais qu’ils représentent également une rente appréciable pour la commune, ce qui est bon pour les impôts, et qu’ils apportent des dividendes en monnaie sonnante et trébuchante aux épargnants qui les ont financés de leur deniers, ce qui est bon pour leur compte en banque.

Je reporte plutôt mon attention sur le paysage. Au loin, le radome étincelant du radar de l’armée semble voguer sur la canopée de hêtres, chênes et châtaigniers. Et surgissant à l’horizon, telle une monstrueuse tumeur maligne, s’élève le panache de vapeur d’eau craché par la centrale nucléaire de Civaux. Certes, les autorités repoussent avec assurance l’éventualité d’un Tchernobyl ou d’un Fukushima local. Mais quelles seraient les conséquences d’un accident ? Notre vallée est considérée comme trop éloignée pour que ses habitants se voient dotés des fameuses pastilles d’iode. Mais ne risquerait-elle pas d’être malgré tout contaminée par les radiations ?

J’étais à Papeete lorsque furent effectués sur l’atoll de Mururoa les premiers essais atomiques et les responsables avaient alors diffusé des instructions aussi succinctes que précises. Tourner le dos à l’océan, s’accroupir sur le sol et mettre les mains sur les yeux. Mais ces précautions étaient réputées parfaitement inutiles puisque l’explosion se déroulait à près de 675 milles nautiques de là et que notre marine nationale veillait à ce que les retombées radioactives ne franchissent pas les frontières qui leurs avaient été assignées.

C’était, du moins, ce qu’affirmaient "Les Nouvelles" et "La Dépêche" de Tahiti, les deux quotidiens de l’archipel. Ici, la distance "à vol d’oiseau" est beaucoup plus réduite et donc le danger beaucoup plus sérieux. Qui aurait le temps de respecter les consignes si une semblable déflagration se produisait ?

Mais l’honnêteté exige de reconnaître qu’une centrale électrique n’est en rien comparable à la bombe d’Hiroshima. L’empoisonnement par les radiations n’en serait pas moins tout aussi dramatique. Population irradiée jusqu’à la fin de ses jours et peut-être sur plusieurs générations. Veaux, vaches, cochons, couvées abattus sur place dans d’immenses charniers. Renards, mulots et lapins de garenne condamnés à dépérir au fond de leur terrier. Forêts s’étiolant au fil des mois et flore décimée sur des milliers de kilomètres carrés, étangs et rivières intoxiqués.

L’agneau se désaltérant innocemment dans le courant d’une onde pure serait contaminé. Et le loup qui le mangerait au petit matin le serait à son tour. Si par chance, il en réchappait, il n’éviterait pas les maladies après avoir croqué la mère-grand du petit chaperon rouge dont le beurre et le fromage seraient eux aussi devenus impropres à la consommation. En un mot, toute vie ou presque disparaîtrait. Seuls, peut-être, quelques insectes résisteraient encore.

Ainsi le cancrelat domestique qui, selon John Moulder docteur en radiobiologie à l’université du Wisconsin, serait protégé par son cuticule. Mais jusqu’à un certain point seulement ! À très forte dose, il rejoindrait la cohorte du commun des mortels et périrait à son tour. Peut-être les scorpions tiendraient-ils plus longtemps mais rien n’est moins sûr !

Et comme nos contrées ne sont guère fréquentées par ces joyeux arachnides… On voit par-là qu’il serait nettement plus sage de prévenir le plus infime incident au cœur du réacteur et de ses entours en attendant de le remplacer le plus tôt possible par nos modernes moulins à vent. Ce qui laisse malgré tout bien des choses encore à penser.

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