Panama Papers for losers

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Très régulièrement, politiques et médias « découvrent » d’un air effaré que les riches dépensent des trésors en avocats fiscalistes rien que pour s’assurer que leurs fortunes colossales ne ruissèleront jamais vers le bas, y compris au compte-goutte. Très régulièrement, tout le monde fait comme si on n’avait jamais entendu parler de paradis fiscaux, c’est à dire, concrètement, d’endroits où on planque l’argent loin de tout contrôle et en particulier loin du contrôle des États et de leur bras armé, le fisc.

Franchement, il faut souffrir du syndrome du poisson rouge pour être encore étonné. LuxLeaks, c’était il y a combien de temps, déjà ? Un peu plus de deux ans.

Et puis, quelle découverte ! J’avais déjà entendu parler des vertus apaisantes du Luxembourg pour contribuable bougon en 1999 dans un cercle d’expatriés à Moscou. Avec un ticket d’entrée à cinq zéros. Du menu fretin, mais déjà plus le commun des prolos. La planque du petit bourgeois qui peine à s’élever au-dessus de la classe moyenne et qui refuse de se laisser confisquer les fruits de ses dépassements d’honoraires par un État cryptobolchévique et/ou une bande de têtards hydrocéphales qu’il a mis en route un soir de coma éthylique à une convention de vieux cons autosatisfaits.

Quand même, quel gros scandale ! Et comme les têtes sont tombées !
Non, je rigole, en fait, les conséquences de ces révélations tiennent en quatre lettres : R I E N !

Et SuisseLeaks, c’était quand déjà ?

Un an, déjà !

Attention, ça a chauffé, quand même. Il y a même une banque qui a été condamnée et qui a l’air bien décidée… de s’en tamponner comme de son premier bordereau de virement interbancaire. Il parait aussi que le fisc portugais a l’intention de recouper les informations obtenues avec la liste des contribuables portugais. Je pense qu’ils recoupent encore. Et que le fisc français, si prompt à te coller 10 % dans les gencives quand tu as le malheur de transférer ta déclaration d’IR deux secondes trop tard, n’a toujours pas l’info qui lui a éclairé sa première synapse de fidèle limier à fraudeurs.

Alors forcément, quand le chœur des vierges effarouchées remet le couvert pour les Panama Papers, on a l’ami Denis Robert qui s’agace quelque peu aux entournures.



Denis Robert… mais si, souvenez-vous : c’est le journaliste tout seul qui a fait éclater l’affaire Clearstream en février 2001 et qui en récompense de ses bons et loyaux services pour la santé financière de la planète s’est mangé dans sa face pas moins de 63 procès dans 5 pays différents.

Je ne crois pas que la crapulerie internationale n’a jamais aussi bien senti le vent du boulet que ce jour-là. Le moment où un petit fromage qui pue a mis en évidence l’immense lessiveuse à pognon sale qui servait à tout ce que la finance globalisée avait de plus moche à cacher. Le moment où un petit fromage qui pue avait trouvé la faille dans le système à spolier les peuples, le pied d’argile du géant de merde. Les mecs étaient tellement repus, tellement surs d’eux et de leur combine qu’ils avaient bien fini par relâcher un peu la garde.

Je pense qu’à partir de ce moment-là, ils ont tout réorganisé fissa pour être certains qu’on ne puisse plus jamais leur donner envie de sucer du Maalox, quitte à sacrifier de temps à autre quelques seconds couteaux… comme pour les Panama Papers.

Certes, il y a tout de même quelques petites choses intéressantes qui sortent des Panama Papers. Comme le fait de rappeler au bon petit peuple laborieux que le fric qui sirote du jus de coco à l’ombre des palmiers, il ne surgit pas par génération spontanée, mais qu’il est bien confisqué, ailleurs, volé à aux gens qui ont sué sang et eau pour le faire exister.

C’est en tout cas ce qu’ont découvert les petits bras d’une entreprise qui les avait vidés comme des sacs à merde sous prétexte qu’elle n’avait plus de pognon.

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C’est donc avec stupéfaction que les 37 anciens salariés d’une entreprise du groupe Autajon dans la Sarthe, licenciés lors de sa fermeture pour raison économique en 2012, ont découvert que leur ex-patron figurait sur la liste de « Panama Papers ». « Je suis vraiment écœuré. Il a fallu que je déménage cinq fois en deux ans pour trouver du travail (…) Je ne suis pas sûr que (le patron) pense à ses salariés, il pense surtout à son compte bancaire », a témoigné un ancien imprimeur au micro d’Europe 1.

Une situation en passe d’être régularisée. Le compte bancaire de Richard Autajon s’élèverait à 130 millions d’euros, ce qui en fait la 4.000e fortune de France. Son entreprise, spécialisée dans la fabrication d’étiquettes pour l’agro-alimentaire, emploie 4.000 salariés dans le monde, dont plusieurs centaines dans la Drôme. L’industriel ne dément pas avoir caché sa fortune. De l’argent « personnel » et non celui de la société, précise son avocat, qu ajoute que cette situation est en passe d’être régularisée avec le fisc français.

Source : Licenciés il y a 4 ans, ils découvrent que leur patron est cité dans les « Panama Papers »

Oui, je voulais être sûre que tout le monde lirait bien : « une situation en passe d’être régularisée ». Le mec vole, triche, ment, met sur la paille 37 personnes et leur famille, fait des bras d’honneur tous les matins à la République, ses citoyens respectueux des lois et ses agents du fisc et on va… régulariser sa situation !!!

Autrement dit, le margoulin qui doit pas être le dernier dans le cercle des pleureuses qui réclament toujours plus de subventions pour sa gueule et toujours moins de droits pour ses exploités, le délinquant en col blanc qui avoue comme un gros chacal repu qu’il s’est bien foutu de la gueule de tout le monde, il va signer un chèque et voilà tout !

On devrait lui planquer un bout de pizza dans sa mallette. Parce que dans ce pays, il n’y a bien que les voleurs de pizza qui prennent cher quand ils se font gauler et qui méditent sur l’équité de la loi du fond de leur zonzon !

Mais ce n’est pas ça le pire.

Le pire, c’est tous ceux qui ne sont pas sur ces listes.

Tous ceux qui savent que :

Les Panama Papers, c’est déjà de l’histoire ancienne !

En fait, en dehors de Cleastream, chaque fois qu’un scandale financier éclate, le gros gibier, ça fait bien longtemps qu’il a planqué ses biscuits ailleurs. Toujours deux coups d’avance. Au moins. C’est comme ça qu’on gagne au bonneteau de la finance et de la corruption.

Parce que vous pensez bien que les énormes multinationales qui signent des PPP avec les États et surfacturent 5000 € le changement d’une prise électrique, elles ne vont pas planquer les fruits de notre travail sous les bananiers. Faudrait vraiment être cons. Surtout avec toute l’instabilité politique et judiciaire qu’il y a dans ces appendices d’États. Il n’y a que les petits bras et les porte-flingues pour encore y croire.

Non, quand tu as de la tune, de la vraie, de la bonne, de la bien grasse qui refoule bien du goulot, il te faut une planque de première classe, dans un pays qui te garantit les meilleures conditions d’accueil et de sécurité possibles.

En gros, quand tu as un magot à mettre à gauche, il faut être un teubé pour l’enterrer au pied d’un cocotier sur une ile de pirates : tu le fous à Fort Knox. Autrement dit, dans le plus gros paradis fiscal de tous les temps, celui qui est doté de la plus grosse puissance militaire de tous les temps et qui est doté du système extrajudiciaire le plus efficace de tous les temps.

L’opacité fiscale des États-Unis est aujourd’hui le grand sujet de discussion des connaisseurs de la finance offshore. Le 1er juillet à Amsterdam, devant quelque 600 spécialistes des trusts et de la planification patrimoniale, l’avocat genevois David Wilson animera une conférence au titre éloquent : « L’Amérique est-elle la nouvelle Suisse ? » Pour lui, la réponse est oui.

« Aujourd’hui, un client français qui ouvre un compte non déclaré dans une grande banque à New York ne fait l’objet d’aucun échange d’informations vers la France, dénonce-t-il. Et si mes clients fiscalement conformes me demandent où est la meilleure juridiction pour rester discrets, je ne peux pas leur mentir, ce sont les États-Unis. »

Un article de l’agence Bloomberg décrivant l’Amérique comme « nouveau paradis fiscal préféré » des grandes fortunes a enflammé le débat fin janvier. Mais chez les spécialistes, le problème américain est connu de longue date. Il tient en deux notions : échange d’informations incomplet et opacité des structures.

Source : Les États-Unis, refuge de la dernière chance pour l’argent des paradis fiscaux, Le Temps, 31 mars 2016

Et ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les Suisses; et ils savent quand même de quoi ils causent ! Surtout qu’ils l’ont assez mauvaise de s’être fait doublés de cette magistrale façon. Encore que la combine est connue chez tous les petits malfrats : collaborer avec les flics pour liquider la concurrence et entrer dans la cour des grands.

Le 18 décembre 2015, le parlement suisse a adopté la loi portant sur l’échange automatique de renseignements (EAR). La Suisse devra fournir automatiquement aux États étrangers tous renseignements concernant les avoirs détenus dans nos banques par les citoyens de ces États. « Il s’agit là de l’aboutissement d’un processus commencé il y a sept ans sous la pression exercée par les États-Unis qui, prétendaient-ils, entendaient ainsi lutter contre l’évasion fiscale », explique Marc Béguin, avocat au Barreau de Genève. Toutefois « au 11 décembre 2015, les États-Unis ne figurent pas sur la liste OCDE des États s’étant engagés à mettre en œuvre ce système, fait valoir l’avocat genevois. Les États-Unis « jouent un scandaleux double jeu », conclut-il.

Source : Le rôle des États-Unis face à l’évasion fiscale est toujours plus critiqué, Le Temps, 25 février 2016

Du coup, on regarde l’affaire des Panama Papers d’un autre œil et trouve qu’elle a de plus en plus la gueule d’un contrefeu médiatique. Bien sûr, c’est toujours bon pour le moral d’exposer quelques aigrefins sur la place publique, mais concrètement, c’est déjà une piste froide.

Le plus marrant (ou triste à pleurer, c’est selon), c’est comment je suis arrivée au dossier du journal suisse alors même que tout le monde est en train de regarder ailleurs avec une belle constance : en visionnant la dernière saison de Fargo.

Mais si, cette excellente série éponyme du non moins excellent film et qui met en scène pour l’essentiel des flics pèquenots en moon boots qui poursuivent des benêts dangereux à force d’être cons et avides et qui se retrouvent mêlés aux truands locaux !

Bref, la dernière saison est purement brillante et elle met en scène — entre autres péripéties — comment la pègre cambrousarde passe à la vitesse supérieure en s’investissant dans le monde de la finance. Mais le plus marrant de l’histoire, c’est que l’action tourne autour de Sioux Falls, un bled qui ne fait pas envie et dont la gloire locale est d’avoir pendu 22 Indiens, s’il faut en croire une plaque commémorative qu’examine l’un des personnages de la série sur le mur-pissotière d’un bistrot de seconde zone. Et c’est en voulant en savoir plus que je suis tombée sur ça :

Des prairies à n’en plus finir, autrefois terres des Sioux. Avec son agriculture qui produit du maïs et du soya en quantité industrielle, le Dakota du Sud affiche une identité très agricole. Mais cet Etat de 843 000 habitants, grand comme cinq fois la Suisse, a développé une industrie plutôt inattendue au milieu de la ruralité du Midwest.

Lire aussi l’éditorial: L’anomalie fiscale américaine n’a que trop duré

A l’image du Wyoming voisin, il se présente comme l’un des nouveaux paradis fiscaux capable d’attirer les fortunes du monde entier. Aux États-Unis, il détient le record absolu : 84 sociétés de trusts dont la masse sous gestion s’élève à 225 milliards de dollars, selon Bret Afdahl, directeur de la division bancaire du Département du travail. Un avocat de la place l’estime même à 336 milliards. La plupart des sociétés de trusts sont concentrées à Sioux Falls, même si Pierre, la capitale, et Rapid City en accueillent quelques-unes.

Source : Sioux Falls, Dakota du Sud, le petit paradis fiscal dans la prairie, Le Temps, 1 avril 2016

Ben oui, le paradis sur terre pour les mecs qui ont tout à cacher, c’est juste le gendarme du monde et surtout ses petits états pouilleux du Midwest, ses nids à Rednecks, la face caché de la Lune du rêve américain. Un peu comme si Monaco se délocalisait dans le Gers.

Impressionnant, non ?

Et pendant ce temps :

« On préfère un bon maire qui fraude qu’un nul intègre »

Source : Fraude fiscale : à Levallois, on encense toujours Balkany, Le Parisien, 10 avril 2016

À bouffer du foin, je vous dis, à bouffer du foin…

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