La question du Sahara occidental est une question que notre diplomatie prudente nous fait régulièrement oublier. On sait l’extrême sensibilité du frère marocain au sujet de cette question et, le principe étant chez nous de ne fâcher personne, on en vient donc presque à l’occulter. Ce qui, avouons-le, est une aberration, quand on considère les suites considérables que la non-résolution de ce problème a sur toute la région du Maghreb…
Mais, aujourd’hui, il est de plus en plus difficile pour nous de garder la tête enfouie dans le sable au sujet de cette affaire. Tout simplement parce qu’elle a pris les devants de la scène à un niveau international. Les choses ont commencé avec la visite, le 5 mars dernier, du secrétaire général de l’ONU dans la partie du Sahara occidental qui est sous le contrôle des forces du Polisario. Une visite suivie, lors d’un crochet par Alger, d’un discours au cours duquel Ban Ki-Moon a glissé la formule de «territoire occupé» à propos du Sahara occidental.
La réponse ne s’est pas fait attendre. Rabat parle de «dérapages verbaux» et accuse Ban Ki-Moon de rompre l’obligation d’impartialité dans le conflit. Elle exige enfin de quelque 75 membres de la force de l’ONU en charge de la surveillance du cessez-le-feu, la Minurso, de quitter la ville de Laayoune et de sortir du territoire…
Le 20 avril dernier, le roi Mohammed VI s’est déplacé à Riyad à l’occasion d’un sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG), qui regroupait l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar, le Bahreïn et le Koweït. Dans un discours dont le ton était pour le moins inhabituel, il a mis en cause la politique des pays occidentaux qui, a-t-il dit, cherchent à morceler les pays arabes, suggérant que le secrétaire général des Nations unies était lui-même «instrumentalisé» par ces puissances.
Quelques jours auparavant, il s’était d’ailleurs rendu à Moscou et avait été reçu par Vladimir Poutine. Des médias aux aguets ont titré sur le thème d’un Mohammed VI qui tourne le dos à l’Occident... On ne sait ce qui s’est passé lors de cette entrevue, mais on peut penser que le roi du Maroc n’y a pas tout à fait trouvé son compte, si l’on en juge par la teneur de la position russe lors d’une récente réunion du Conseil de sécurité.
En effet, le 29 mars dernier, l’organe onusien a prorogé le mandat de la Minurso jusqu’au 3 avril 2017, soulignant l’urgence « qu’elle puisse de nouveau exercer pleinement ses fonctions ». Élément à souligner : le texte de la résolution évoque des «efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc pour aller de l’avant vers un règlement»… Or la délégation russe, qui soutient la poursuite de la mission de la Minurso, s’est abstenue au moment du vote. Raison invoquée : le texte de la résolution a une «faiblesse majeure». Dans la mesure précisément où il parle «d’efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc pour aller de l’avant vers un règlement»… Toute personne qui connaît la situation sait que cette formule n’est «pas d’actualité», commente sèchement le représentant russe.
Il semble assez clair, par conséquent, que nous sommes en présence d’une certaine agitation diplomatique en raison d’une pression de la communauté internationale sur le Maroc en vue d’un règlement du conflit qui n’a que trop duré. La poursuite d’une politique du fait accompli qui repousse indéfiniment la résolution du conflit n’est pas tenable et n’est dans l’intérêt de personne : ni des pays du voisinage, qui ont vu pendant des années cette question bloquer toute négociation autour de l’Union du Maghreb arabe, ni du Maroc lui-même, qui traîne ce problème comme un boulet depuis 1991.
Rendre service au Maroc ne revient certainement pas à le conforter dans une attitude politique d’attentisme qui le décrédibilise. D’autant que l’argument sécuritaire opposé à cette politique d’attentisme est imparable : la situation actuelle, fait-on valoir, est une aubaine pour les terroristes, qui trouvent dans la misère et la précarité des conditions de vie de la population sahraouie des raisons en vue d’orienter leur politique de recrutement en direction de ces territoires…
En revanche, il conviendra le moment venu de faire en sorte qu’une décision courageuse et raisonnable de la part des intéressés, Marocains et Sahraouis, soit la plus profitable possible pour tous les deux. Le vrai bon départ du Maghreb arabe commencerait-il par là ?