Manifester à Douma

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Manifester à Douma était relativement plus sûr que dans d’autres endroits de la capitale damascène. Au moment de la débandade, les maisons étaient ouvertes aux manifestants. Même les personnes très religieuses avaient reçues de leurs cheikhs une sorte d’autorisation à chercher refuge dans des intérieurs où se trouvaient peut être des femmes. « Puisque tu fuis l’injustice, le premier regard n’est pas illicite ».

Le vendredi « des enfants de la liberté » (1), la Sureté a attaqué la manifestation. Comme un fou, je suis monté au troisième étage de l’immeuble le plus proche et j’ai frappé à une porte. Une femme d’une cinquantaine d’année, seule chez elle et en voile de prière m’a fait entrer sans me poser aucune question. En temps normal, elle n’aurait pas ouvert à un homme. Elle m’a fait asseoir sur la banquette du salon et m’a apporté un verre d’eau, tout en m’encourageant à rester jusqu’au départ de la Sureté.

Puis elle a disparu dans une autre pièce avant de revenir avec une carte d’identité. Elle m’a dit que c’était celle de son fils et que si j’étais recherché je pouvais la prendre. Il avait été abattu par le sniper de la tour médicale, cette tour qui ne deviendrait jamais un hôpital et que les gens n’ont pas tardé à rebaptiser « tour de la mort ».

Je n’ai pas osé lui montrer la brûlure que m’ont causée ses paroles. Sa dignité m’a fait ravaler ma compassion, aussitôt remplacée par la haine envers les assassins. En dépit de ses offres répétées, je n’ai pas pris la carte. Une demi-heure plus tard, voyant par la fenêtre que la Sécurité avait quitté la zone, je suis sorti de chez elle, laissant sur la banquette le souvenir de son fils.

Extrait du magnifique « Majd al-Dik avec Nathalie Bontemps. A l’est de Damas, au bout du monde. Témoignage d’un révolutionnaire syrien, Don Quichotte 2016, page 82.


Note :

(1) Le vendredi 3 juin 2011 porte ce nom en hommage à Hamza al Khateeb et Tamer al Cherii, deux enfants de Deraa arbitrairement arrêtés et assassinés sous la torture en mai 2011. Des photos insoutenables de leurs corps suppliciés circulent sur les réseaux sociaux.

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