Congrès d’Ennahdha : la seconde révolution

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La conversion du mouvement Ennahdha en un parti laïque constitue un évènement majeur dans le paysage politique tunisien et international. Il s’agit là d’une véritable « révolution », si on accorde à ce terme la signification consacrée de changement profond, plaçant une situation aux antipodes de ce qu’elle était et ouvrant un chemin nouveau.

La récente vocation déclarée laïque d’Ennahdha a fait l’objet de présentations astucieuses; au niveau interne, on a parlé de spécificités ou mieux de spécifications : l’une politique, l’autre religieuse, ce qui a permis d’éviter le mot brutal et tranché de séparation entre politique et religion. Ainsi, chaque membre est autorisé à intégrer la spécificité qui lui convient. Dès lors, le parti Ennahdha se reconstruit dans une diversité affirmée et assumée, sans pour autant renier son fondement islamique.

Bien plus, il admet et met en pratique, pour la première fois, une vision dynamique de la religion : celle-ci, non plus figée et immuable dans ses caractéristiques, est désormais susceptible de changer pour s’adapter au contexte social et politique de l’époque. En vérité, l’événement est de taille et dépasse largement les frontières de la Tunisie. Pour la première fois, un parti d’obédience religieuse, qui plaidait pour une constitution émanant de la charia et prônait l’avènement de la grande «Oumma islamique», se détourne de ses fondamentaux pour admettre une séparation du politique et du religieux et s’inscrire dans une citoyenneté tunisienne, allant même jusqu’à vanter les particularités de l’islam tunisien.

C ’est véritablement une première dans le paysage monomorphe qu’offrent les partis dans le monde arabe, les uns laïques modernistes, d’autres à obédience religieuse, extrémiste et sans recours. Une fois encore, notre pays ouvre la voie et démontre qu’un mouvement religieux peut se transformer, se contextualiser et devenir un véritable reflet de la société dont il émane.

Au niveau national, il est indéniable que le parti Ennahdha devient désormais le premier parti du pays, tant par ses adhérents que par sa vocation nouvelle. A cette mutation, les autres partis, progressistes, méfiants et surpris, crient à l’arnaque : encore un tour que Rached Ghannouchi aurait tiré de son chapeau de vieux routier et que ses adhérents, fidèles et disciplinés, ont adopté sans discussion ! Il est certain que R. Ghannouchi a bien manœuvré, mais n’est-ce pas là le propre de l’homme politique qu’il est ?

Quant à la sincérité du revirement et de la «laïcisation» du parti, il n’existe pas de sincérité en politique, juste des choix qu’il convient de faire au moment opportun. Par la transformation de son mouvement, Ghannouchi coupe l’herbe sous les pieds des autres partis, leur ôtant une bonne partie de leur légitimité : désormais, il est aussi laïc qu’eux ; à qui donc vont-ils pouvoir désormais opposer leur modernité et leurs tendances progressistes ?

A sa nouvelle identité laïque, Ennahdha ajoute deux autres changements tout aussi importants : le premier est la mise à distance des Frères musulmans (les modèles des premières années), désormais considérés comme faisant partie de la mouvance terroriste. Second changement : intégrer le parti n’exige plus d’être parrainé par trois anciens membres. Ce dernier amendement va permettre de drainer vers Ennahdha les anciens rcdistes déçus par un «Nida» qui part en miettes et s’éteint doucement au gré des querelles internes, mais aussi les hésitants qui trouveront chaussure à leur pied, qu’il s’agisse de religion ou de modernité puisque Ennahdha entend désormais réunir les deux.

Mais tout n’est pas rose au parti de la colombe aux ailes bleues. Autant Ghanouchi a été élu par une grande majorité (800 voix sur 1.200 congressistes), autant la décision de maintenir le choix des membres du comité exécutif à la discrétion du président, qui les choisit puis les «propose», au «Majless Echoura» a déclenché colère et tension entre militants. Mais le charisme du vieux président a permis, sans trop de difficultés, d’amender les querelles et on a vu d’émouvantes accolades de réconciliation.

Par une pareille manœuvre, Ghannouchi garde la main-mise sur son parti. Faut-il y voir un remake des anciens congrès du RCD ou une «sagesse politique» du vieux loup, désireux de mener à bien la grande mutation qu’il a préparée, voulue et mise en place ?

Qui sait ce qu’il adviendrait de la laïcité si on la laissait aux mains d’un Abdelhamid Jlassi, ou d’un Habib Ellouze ! Toutes proportions gardées, et si tant est qu’on puisse faire confiance à un politicien, il vaut mieux faire confiance à Ghannouchi pour mener son parti sur un chemin nouveau qui n’est pas dénué d’embûches. Car il faudra immanquablement, et à chaque étape, réinventer des positions laïques ne mettant pas à mal la «spécificité islamique», et vice-versa.

Qu’on pense, à titre d’exemple, au problème de l’héritage pour les femmes, récemment soulevé par un député de l’ARP et très vite mis de côté… Donc, le chemin risque d’être long et périlleux mais le simple fait de s’y engager constitue déjà une gageure et un gain indéniable pour la politique, la religion mais surtout pour le pays.

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