Liste des pays à abattre : La démolition du « B » de BRICS

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Commençons par l’agitation interne kafkaïenne. Le coup d’État contre la présidente Dilma Rousseff reste un cadeau multimédia inégalé, dans le théâtre tragi-comique de l’opéra-bouffe politique qui continue. Il sert également comme cas d’école de la guerre de l’information convertie en outil stratégique de contrôle politique.

Une succession de fuites épouvantables de conversations téléphoniques a révélé que les secteurs clés de l’armée brésilienne, ainsi que certains juges de la Cour suprême, ont légitimé le coup d’État contre une présidente qui a toujours protégé, pendant deux ans, l’enquête de corruption Car Wash. Même les médias occidentaux ont été forcés d’admettre que Dilma n’a pas volé quoi que ce soit, mais qu’elle est, au contraire, mise en accusation par une bande de voleurs. Leur ordre du jour : étouffer l’enquête Car Wash, qui peut finalement jeter beaucoup d’entre eux en prison.

Les fuites ont également dévoilé un carnage fratricide méchamment vicieux entre les élites compradores brésiliennes – périphériques et grand public. Pour l’essentiel, les périphériques ont été utilisés comme humbles camelots au Congrès pour faire le sale boulot. Mais maintenant, ils pourraient être sur le point de devenir des cocus dans le gouvernement intérimaire illégitime de l’impopulaire Michel Temer, dirigé par un groupe de politiciens corrompus jusqu’à la moelle du PMDB, le parti qui est l’héritier du seul groupe d’opposition toléré pendant les années 1960-1980 de la dictature militaire.

Faites connaissance avec le chancelier vassal

Un acteur insidieux dans l’escroquerie en cours du golpeachment [coup d’État de destitution] est le ministre par intérim des Relations extérieures, le sénateur José Serra du parti PSDB, des sociaux-démocrates mués en néolibéraux forcenés. Lors de l’élection présidentielle de 2002 – où il a perdu face à Lula – Serra avait déjà essayé de se débarrasser des oligarchies brésiliennes périphériques.

Pourtant, maintenant, il incarne un autre rôle – parfaitement en phase, non seulement avec la politique étrangère brésilienne rétrograde de l’époque du coup d’État militaire de 1964, mais surtout en tant qu’homme de Washington à l’intérieur du gang du coup d’État.

L’allié majeur de l’Exceptionalistan au Brésil est l’oligarchie de Sao Paulo, l’État le plus riche du pays et la capitale financière de l’Amérique latine. C’est des rangs de cette crème de la crème du Brésil, qu’un sauveur national pourrait finalement surgir.

Une fois que les périphériques seront oubliés, tous les coups seront permis pour criminaliser – et emprisonner – un paquet de dirigeants de gauche, Lula inclus, et mettre en place une contrefaçon d’élection, légitimée par un juge nocif de la Cour suprême, Gilmar Mendes, un larbin du PSDB.

Tout dépend de ce qui se passera dans les deux prochains mois. Le procureur général a finalement demandé à la Cour suprême de jeter trois premiers périphériques en prison ; ils sont tous accusés d’avoir comploté pour faire dérailler l’enquête Car Wash un réseau juridique, politique et policier extrêmement complexe d’une myriade de cercles concentriques.

En attendant, l’arrêt définitif de la destitution de Dilma au Sénat doit être rendu le 16 août – onze jours après le début des Jeux olympiques. Les comploteurs ont subi un coup dur car ils ont férocement essayé d’accélérer la procédure. À l’heure actuelle, l’issue est incertaine ; après les fuites, quatre à cinq sénateurs sont déjà hésitants, dans la mesure où les fuites impliquent également Temer personnellement. Ce dernier est un leader à la crédibilité nulle, un escroc corrompu jusqu’à l’os, déjà la cible de plusieurs enquêtes sur la corruption et qui vient d’être interdit de briguer un mandat politique pour les huit prochaines années.

Le monopole brésilien des médias grand public (cinq familles) – populairement appelé PIG, l’acronyme brésilien pour Médias Pro Coup d’État – a changé son fusil d’épaule ; oubliant sa posture anti-gauche, il attaque maintenant aussi certains membres sélectionnés du gang de Temer.

Selon la Constitution, si la présidence et la vice-présidence sont vacantes au cours des deux dernières années d’un terme donné, il appartient au Congrès d’élire un nouveau président.

Cela implique deux scénarios possibles. Si Dilma n’est pas mise en accusation, il est probable qu’elle demandera de nouvelles élections présidentielles avant la fin de l’année.

Si elle est destituée, le PIG [les médias de l’oligarchie] tolérera l’intérim du ramassis de larbins du gang de Temer jusqu’à janvier 2017 au plus. La prochaine étape sera ce pour quoi Serra et le leader presque en taule du Sénat, Renan Calheiros, font campagne : la fin des élections présidentielles directes et le début du parlementarisme à la mode brésilienne.

L’homme le mieux placé pour être le sauveur national dans ce cas, est l’ancien président Fernando Henrique Cardoso – également nommé ancien Prince de sociologie, un promoteur majeur, au cours des années 1960 et au début des années 1970, de la théorie de la dépendance, métamorphosé depuis en néolibéral avide. Cardoso est un copain très proche de Bill Clinton et de Tony Blair. L’axe Washington/Wall Street l’adore. Cardoso serait élu principalement par la meute de hyènes du Congrès qui a obtenu la mise en accusation de Dilma le 17 avril.

Le noyau dur du golpeachment va bien au-delà des élites brésiliennes périphériques. Il est composé d’un parti politique (PSDB), de l’empire des médias Globo, de la police fédérale (très à l’aise en compagnie du FBI), du ministère public, de la majeure partie de la Cour suprême, et des secteurs de l’armée. Seul l’axe Washington/Wall Street a les moyens, et l’attractivité nécessaire, pour enrégimenter tous ces joueurs – par des espèces sonnantes et trébuchantes, du chantage ou des promesses de gloire.

Et tout cela s’accorde avec les questions majeures, restées sans réponses, concernant les récentes fuites de conversations téléphoniques. Qui a enregistré les conversations ? Qui les a laissé fuir ? Pourquoi maintenant ? Qui profite d’une nation dans le chaos économique, juridique et politique total, avec pratiquement toutes les institutions totalement discréditées ?

Néolibéralisme ou chaos

C’était l’époque où Washington pouvait fomenter, en toute impunité, un coup d’État militaire ancienne manière dans son arrière-cour – comme au Brésil en 1964. Ou au Chili lors du premier 9/11 – en 1973, comme on le voit à travers les révélations du cinéaste chilien Patricio Guzman dans un documentaire émouvant sur Salvador Allende.

L’Histoire, de façon prévisible, se répète maintenant comme une farce, alors que le coup d’État de 2016 a transformé le Brésil – la 7e plus grande économie du monde et un acteur mondial important de l’hémisphère Sud – en Honduras ou en Paraguay (où les derniers coups d’État US ont réussi).

J’ai montré comment le coup d’État au Brésil est une opération de guerre hybride extrêmement sophistiquée, allant bien au-delà de la guerre non conventionnelle (UW), de la guerre de 4e génération (G4G), des révolutions de couleur, et de la R2P (Responsabilité de Protéger), tout le chemin vers le summum de la prise du pouvoir en douce, un coup d’État médiatique, politique, financier et judiciaire déroulé au ralenti. Un coup d’État dans toute sa splendeur, couvert de l’apparat des institutions démocratiques.

Le néolibéralisme peut bien avoir échoué, selon les conclusions du Centre de Recherche du FMI, mais son cadavre pourri encombre encore toute la planète. Le néolibéralisme n’est pas seulement un modèle économique, il empiète aussi subrepticement sur le royaume juridique. Par suite d’une autre facette perverse de la doctrine de choc, le néolibéralisme ne peut pas l’emporter sans un cadre juridique.

Lorsque les attributions constitutionnelles sont redirigées vers le Congrès qui maintient l’exécutif sous contrôle, tout en générant une culture de la corruption politique, alors la politique est subordonnée à l’économie. Les entreprises s’engagent dans le financement des campagnes électorales et achètent les politiciens, pour être en mesure d’influencer les pouvoirs politiques en place.

Voilà comment Washington fonctionne. Et c’est aussi la clé pour comprendre le rôle de l’ancien chef de la chambre basse brésilienne Eduardo Cunha. Il a procédé au financement de sa campagne en rackettant le Congrès lui-même, dans lequel il contrôle des dizaines de politiciens tout en bénéficiant de contrats publics proverbialement juteux.

Les trois larbins dans ce que j’ai appelé la République bananière provisoire des crapules sont Cunha, Calheiros et Temer.

Temer est une simple marionnette, alors que Cunha reste une sorte de Premier ministre de l’ombre, pour diriger le spectacle. Mais pas pour longtemps. Il a déjà été suspendu de son poste de président du Congrès, il a empoché des millions de dollars en pots de vin pour des gros contrats et caché le butin dans des comptes secrets en Suisse. Ce n’est maintenant plus qu’une question de temps avant que la Cour suprême n’ait les couilles – ce n’est pas donné – de le jeter en taule.

OTAN contre BRICS, tout le spectre

Et cela nous amène encore une fois vers le Grand Panorama, alors que nous avançons en parallèle avec une analyse de Rafael Bautista, à la tête d’un groupe d’étude sur la décolonisation à La Paz, en Bolivie. Il est l’un des meilleurs et des plus brillants analystes d’Amérique du Sud, il est très conscient du fait que tout ce qui se passera au Brésil dans les prochains mois façonnera l’avenir non seulement de l’Amérique du Sud, mais de l’ensemble de l’hémisphère Sud.

Le projet de l’Exceptionalistan pour le Brésil n’est rien moins que l’imposition d’une doctrine Monroe remixée. L’objectif principal du plan de restauration néolibérale est de couper l’Amérique du Sud des BRICS – c’est à dire, essentiellement, du partenariat stratégique sino-russe.

C’est une courte fenêtre d’opportunité après toutes ces années passées dans la continuité Bush-Obama, où Washington était obsédé par la région MENA (Moyen-Orient/Afrique du Nord), alias le Grand Moyen-Orient. Maintenant, l’Amérique du Sud est de retour dans un rôle de premier plan dans la géopolitique (soft) du théâtre de guerre. Se débarrasser de Dilma, Lula, du Parti des travailleurs, par tous les moyens disponibles, n’est qu’un début.

On en revient toujours à la même chose, définir la guerre du XXIe siècle : l’OTAN contre le BRICS, contre l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et, finalement, contre le partenariat stratégique sino-russe. L’écrasement du B dans le BRICS apporte avec lui le bonus de briser le Mercosur (marché commun sudaméricain), l’Unasur (Union politique des nations sudaméricaines), l’ALBA (l’Alliance bolivarienne) et l’intégration sudaméricaine, dans son ensemble, avec les principaux acteurs mondiaux émergents du Sud tels que l’Iran.

La déstabilisation en cours du Syraq s’accorde à l’Empire du Chaos, quand il n’y a pas d’intégration régionale, la seule autre possibilité est la balkanisation. Et pourtant, la Russie a fait la démonstration aux planificateurs de Washington qu’ils ne peuvent pas gagner une guerre en Syrie dès lors que l’Iran a montré, après l’accord nucléaire, qu’il ne deviendra pas un vassal de Washington. Donc, l’Empire du Chaos pourrait aussi bien s’occuper de sécuriser sa propre arrière-cour, l’Amérique du Sud.

Un nouveau cadre géopolitique devait faire partie du lot. Voilà où le concept de l’Amérique du Nord entre en jeu, soutenu par le Council on Foreign Relations et mis au point, pour l’essentiel, par l’ancienne superstar du choc en Irak, David Petraeus, et l’ancien caïd de la Banque mondiale, Bob Zoellick, maintenant chez Goldman Sachs. Appelez cela le mini-gratin de l’Exceptionalistan.

Vous ne l’entendrez pas énoncé en public, mais le concept Petraeus/Zoellick de l’Amérique du Nord suppose le changement de régime en engloutissant le Venezuela. Les Caraïbes sont considérées comme un Mare Nostrum, un lac US. Le concept d’Amérique du Nord est en fait une offensive stratégique.

Elle implique le contrôle de l’énorme richesse pétrolière et aquifère de l’Orénoque et de l’Amazone, quelque chose qui pourrait garantir éternellement la prééminence de l’Exceptionalistan au sud de la frontière.

Les Caraïbes sont déjà un fait accompli. Après tout, Washington contrôle le CAFTA. L’Amérique du Sud est un morceau plus difficile à avaler, à peu près polarisée entre ce qui reste de l’ALBA et l’Alliance du Pacifique dirigée par les États-Unis. Avec le Brésil retournant à la vulgate néolibérale, c’en est fini de la promotion de l’intégration régionale. Le Mercosur serait finalement absorbé dans l’Alliance du Pacifique – surtout avec un homme comme Serra à la tête de la diplomatie brésilienne. Donc, sur le plan politique, l’Amérique du Sud doit être éliminée à tout prix.

Ce qui reste à l’Amérique du Sud serait son agrégation – comme un acteur marginal, faisant partie de l’Alliance du Pacifique sous contrôle US – aux accords commerciaux de l’OTAN : le TTP et le TTIP. Le pivot vers l’Asie – dont le TPP est le bras commercial armé – est la manifestation de la doctrine Obama pour le confinement de la Chine, non seulement en Asie, mais aussi dans toute l’Asie-Pacifique. Ainsi, il est naturel que la Chine – partenaire commercial numéro un du Brésil – soit également contenue dans l’arrière-cour de l’hégémon : l’Amérique du Sud.

De l’Atlantique au Pacifique, et au-delà

On ne souligne jamais assez l’importance géo-économique de l’Amérique du Sud. La seule façon, pour que l’Amérique du Sud puisse être entièrement intégrée au monde multipolaire, est d’ouvrir le Pacifique, renforcer sa connexion stratégique avec l’Asie, en particulier la Chine. Voilà pourquoi les Chinois poussent à investir dans un énorme projet ferroviaire à grande vitesse, qui unit la côte atlantique brésilienne avec le Pérou dans le Pacifique. C’est, en résumé, l’interconnectivité de l’Amérique du Sud. Si le Brésil est politiquement annihilé, rien de tout cela ne se produira jamais.

Ainsi, tous les coups sont maintenant littéralement autorisés en Amérique du Sud : attaques indirectes contre la monnaie brésilienne (le real), corruption des élites compradoras locales avec le soutien du système financier mondial, tentative concertée pour l’implosion, simultanément, des trois premières économies de la région, le Brésil, l’Argentine et le Venezuela. SOUTHCOM est allé jusqu’à produire un rapport sur « Le Venezuela libéré » au début de cette année, signé par le commandant Kurt Tidd, qui propose une stratégie de la tension, complétée par l’encerclement et des techniques de suffocation permettant de mélanger l’action de rue avec une utilisation calculée de la violence armée. Les échos du Chili 1973 résonnent encore.

L’Amérique du Sud est sans doute maintenant l’espace géopolitique privilégié où l’Exceptionalistan pose les bases pour rétablir son hégémonie inégalée – dans le cadre d’une guerre géo-financière multidimensionnelle contre les BRICS – afin de perpétuer le monde unipolaire.

Toutes les actions précédentes convergent vers cette géostratégie d’implosion des BRICS et vers la réduction de l’Amérique du Sud à un appendice de l’Amérique du Nord.

Wikileaks a révélé comment la NSA avait espionné sur Petrobras. En 2008, le Brésil est venu avec sa propre stratégie de défense nationale, axée sur deux domaines clés : l’Atlantique Sud et l’Amazonie. Cela n’a pas trop plu à SOUTHCOM. L’Unasur aurait dû développer cette stratégie à un niveau continental, mais elle ne l’a pas fait.

Lula a décidé d’attribuer à Petrobras l’exploitation principale des gisements d’hydrocarbures pré-sel, la plus grande découverte de pétrole du XXIe siècle. L’administration de Dilma a donné une ferme poussée à la New Development Bank des BRICS (basé sur la BNDES brésilienne) et a également décidé d’accepter les paiements iraniens, en contournant le dollar US. Toute personne impliquée dans le commerce Sud-Sud et contournant le dollar US entre dans le collimateur, et signe son arrêt de mort.

Hillary Clinton est la candidate présidentielle de Wall Street, du Pentagone, du complexe militaro-industriel et des néocons. Elle est la déesse de la guerre – et dans la filiation Bush-Obama-Clinton, elle ira en guerre contre tout acteur dans le Sud qui osera défier l’Exceptionalistan.

Ainsi, le sort en est jeté. Nous saurons avec certitude au moment où sera investi un nouveau président US – et sans doute une nouveau président brésilien – non élu – au début de 2017. Le jeu géostratégique reste bien le même. Le Brésil doit tomber pour faire chuter l’intégration des BRICS, et l’Exceptionalistan pourra concentrer toute sa puissance de feu dans une confrontation tous azimuts contre la Russie et la Chine.

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