Il imaginait l’ampleur des inimitiés et savait que l’échec patent du gouvernement Essid n’était pas imputable à un chef du gouvernement certes par trop discret et effacé mais pas au point de se réjouir du rôle de bouc émissaire auquel semble vouloir le vouer Essebsi afin de sauver la mise, réflexe hérité de son idole Bourguiba, grand mangeur d’hommes devant le Seigneur, et de préserver sa présidence de l’humeur de la rue et des intempérances peu avenantes à son égard de ses anciens alliés, dont notamment le front populaire, toujours prompt à conditionner sa collaboration par l’éviction de tel ou tel, jugé incompatible idéologiquement et inadapté politiquement.
Or, la marge de manœuvre de Caïd Essebsi est réduite si bien que la tentation de gagner du temps et d’enliser le débat dans de longs palabres stériles et inutiles était forte, tellement forte que le jeûne et la canicule aidant, il pourra bénéficier d’une période de répit au cours de laquelle il formulera d’autres propositions à même de confondre ses adversaires politiques et de compromettre les plus impertinents d’entre eux.
Comme l’échec est d’abord le sien et qu’il en est conscient, malgré son bagou de démagogue rompu aux dérobades et aux esquives, il cherche à noyer le poisson en adoubant la centrale syndicale pour peu que celle-ci morde à l’hameçon et le sauve d’un naufrage désormais inéluctable.
En cas de refus de l’UGTT, il serait facile de la désigner comme responsable majeur de la crise économique que traverse le pays et de stigmatiser son comportement contraire aux intérêts économiques des Tunisiens et hostile à une résolution pacifique des conflits politiques en cours.
Abassi a compris les intentions de Béji Caïd Essebsi et même s’il semble avoir été bousculé par ce tacle appuyé, il n’est pas prêt à troquer l’ascendant pris par la centrale syndicale sur l’Etat contre la portion congrue au sein d’un gouvernement « de crise » censé appliquer des mesures d’austérité impopulaires et soumis au diktat des bailleurs de fonds étrangers.
Bien que l’opposition semble peu attentive aux multiples entorses à la Constitution dont se rend coupable chaque jour celui qui est censé la respecter et bien que cette mollesse, fort inquiétante, soit à l’origine de l’embrouillamini actuel où le chef du gouvernement, malgré les larges attributions que lui confère ladite Constitution, est otage des vieux démons présidentialistes de Caïd Essebsi, peu enclin à renoncer au rôle de « prima donna » pour se satisfaire d’une fonction subalterne, comparable à celle d’une soubrette dans un obscur cabaret de banlieue , le vieux Président, se réfugie dans ce clair-obscur constitutionnel pour justifier, quand cela lui convient, les difficultés à gouverner la Tunisie sans les moyens qu’il maitrise le plus : la répression policière tous azimuts si nécessaire à celui dans la catéchisme a été fait dans les meilleures paroisses de la dictature, ainsi que la mise au pas de l’UGTT et son assujettissement au régime comme au bon vieux temps.
Son logiciel est obsolète et au vu de son âge, une éventuelle mise à jour risque de perturber son système neuronal et d’aboutir à un crash de son disque dur aux conséquences imprévisibles !
Si Béji Caïd Essebsi se défausse, en usant et abusant de la rhétorique bourguibienne, c’est parce qu’il veut que l’échec soit équitablement partagé, après les vaines promesses et la liturgie tartufienne de la période électorale, le canular n’ayant pas résisté à l’usure du temps, la débâcle étant précoce et son impopularité de plus en plus babillarde, il entame sa traversée du désert avec l’intention d’en découdre avec ceux qui l’ont abandonné quand il a scellé son pacte avec Ennahdha, fort du soutien de cette dernière, quoique assorti de conditions, s’apprête-t-il à livrer bataille, une espèce de guerre à la Pyrrhus, à l’UGTT et au front populaire ?
Les prémices existent, mais la Tunisie d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier, tout dérapage, toute imprudence, toute forfanterie pourront conduire à une exacerbation du conflit politique et à des crispations aux retombées socio-économiques dramatiques.
Si le tocsin sonne, il sonnera pour tout le monde !