Avec une infinie délicatesse, la pluie a opportunément choisi de tomber pendant que j’écoutais, avec grand plaisir d’ailleurs, quelques concertos pour piano et orchestre interprétés par l’Orchestre Symphonique Régional dans le théâtre de la ville voisine. Après un époustouflant concerto pour clarinette en la majeur de Mozart, je regagne mon chez moi la tête encore pleine d’arpèges.
À la lueur des réverbères, le sol mouillé brille comme un louis d’or sur son écrin de velours. Et je songe à la nouvelle aperçue la veille dans mon écran de télévision. La société Colas, une filiale du groupe Bouygues, aurait conçu un revêtement révolutionnaire pour routes et parkings. Il se présente sous forme de dalles incrustées de cellules photovoltaïques, les transformant ainsi en véritables centrales électriques par leur simple exposition au soleil.
Un seul kilomètre linéaire suffirait, dit-on, à produire assez d’énergie pour éclairer une ville de 5.000 habitants, chiens et chats compris. Nul besoin d’être un Stephen Hawking pour déduire au moyen d’une simple multiplication que si l’on recouvrait seulement 25% des routes de France, on assurerait pratiquement l’indépendance énergétique du pays.
Imaginons que cela soit réellement possible. Imaginons qu’un Ministre de l’Écologie particulièrement imaginatif et audacieux parvienne à imposer un tel revêtement sur nos belles autoroutes. Grâce au réchauffement climatique, notre beau pays devrait bénéficier dans les décennies qui viennent d’un supplément d’ensoleillement. Nos autoroutes devraient donc fournir plus d’électricité encore. Nous pourrions alors non seulement alimenter les chauffages électriques l’hiver et les climatiseurs l’été, les tondeuses de petits gazons, les robots-mixer de légumes pour la soupe du soir ainsi que les innombrables batteries d’innombrables voitures électriques mais notre EDF national pourrait même vendre du courant à nos voisins.
Ce qui aurait pour conséquence d’augmenter à coup sûr ses bénéfices et, sans aucun doute, de réduire les factures des particuliers. Imaginons qu’au bout du compte les émissions de CO2 en viennent mécaniquement à baisser au point de retrouver les taux des périodes idylliques où il n’existait encore aucune usine polluant l’atmosphère et où les piétons marchaient à pied. En un mot, lorsque le gaz à effet de serre était pratiquement inconnu. Non seulement le climat ne se réchaufferait plus, ce qui permettrait de réaliser les objectifs de la fameuse Cop21, mais il se refroidirait même au bout d’un certain temps par manque de carburant.
Hélas, le ciel se couvrirait derechef de nuages qui masqueraient la lumière du soleil et feraient dangereusement diminuer le rendement des petites cellules photovoltaïques collées sur les chaussées. Afin de compenser les investissements particulièrement lourds et coûteux pour la collectivité, les fonds de pension et les actionnaires, le gouvernement serait alors contraint de relancer la construction de centrales à charbon pour réactiver la production de CO2. Et peut-être même amené à interdire la marche à pied afin d’inciter les piétons à ressortir leurs vieilles Volkswagen invendables dormant dans les garages.
On voit combien le dilemme est cornélien pour les écologistes. La recherche est évidemment indispensable au bon développement des entreprises qui veulent pérenniser leurs activités. Il conviendrait malgré tout d’y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans des innovations hasardeuses. Des pays entiers se sont désindustrialisés pour moins que cela par le passé, laissant des chômeurs sur le carreau et des pauvres gens qui n’en pouvaient mais sur le bord de la route. Mais les chemins du futur étant imprévisibles, rien n’assure que ces nouveautés verront vraiment le jour. Ce qui nous laisse encore bien des choses à penser.