Après Nice, la dynamique du pire, l’intégration et un certain zeste d’anti-France

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La dynamique du pire est un enchaînement d’événements où chacun crée à la suite de l’autre une situation plus grave que la précédente. C’est une glissade continue, irrémédiable, vers un contexte incontrôlable où les scénarios les plus noirs finissent par se réaliser. Après le carnage de Nice, il convient donc d’être réaliste et de ne pas se leurrer : La France est bel et bien prise dans une séquence infernale dont on se demande avec angoisse quel sera le prochain épisode.

L’assassin a-t-il perpétré son crime au nom de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI, souvent désignée par l’acronyme Daech) ? Etait-il mû par d’autres raisons, la « franchise universelle », que l’OEI a lancée pour frapper les pays occidentaux, lui ayant donné la possibilité d’accomplir son geste démoniaque sous le label bien pratique du djihad ? Même si des responsables politiques français se sont couverts de ridicule en évoquant une « radicalisation rapide », un peu comme s’il s’agissait d’une maladie foudroyante, je pense que ce débat n’est pas le plus important.

Car, ce qui prime, c’est l’effet produit au sein de l’opinion publique française. Au-delà de l’horreur et de la sidération (notons au passage l’usage intensif de ce dernier terme par les médias), il y a la colère et la certitude que tout cela a été accompli au nom de l’islam par un membre des communautés d’origine maghrébine.

Les discours qui entendent mettre en garde contre tout amalgame, les critiques légitimes formulées vis-à-vis de la politique française au Machrek et les rappels sur le fait qu’un tiers de victimes étaient de confession, ou de culture, musulmanes n’y changeront rien ou presque. Petit à petit, des digues de raison se fissurent et s’installe l’idée que ces communautés abritent en leur sein de dangereux criminels susceptibles de passer à l’action à n’importe quel moment et par n’importe quel moyen, y compris le plus inattendu.

La suspicion généralisée à l’égard des musulmans d’Occident, fussent-ils pas ou peu pratiquants, est l’un des objectifs de Daech. Le calcul est simple : plus les concernés seront mis à l’index et plus certains d’entre eux seront enclin à passer à l’action violente ou, du moins, à ne pas s’en désolidariser. Mais là n’est pas l’objectif final de l’OEI dont le but est aussi de répliquer aux bombardements dont ses troupes font l’objet en Syrie, en Irak mais aussi en Libye. Ce que veut cette organisation, c’est une aggravation de la situation et une division plus nette entre les uns et les autres.

Autrement dit, ce qu’elle espère c’est que les musulmans de France fassent l’objet de représailles. On dira que c’est déjà le cas puisque des mosquées ont été vandalisées et que des croyants ont été molestés. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. La tuerie de Nice et la colère engendrée ouvrent la voie à d’autres scénarios, dont celui d’une « vengeance » qui serait l’œuvre, par exemple, de réseaux d’extrême-droite. Un « œil pour œil » dramatique qui envenimerait la situation et créerait des divisions là où elles n’existent pas (encore). On imagine aisément le cycle de violences sans fin que cela pourrait induire.

La seule manière d’empêcher ce scénario du pire est de renforcer la cohésion de la société française. Cela passe par un dialogue entre citoyens. Un dialogue dont, j’en suis désormais persuadé, la classe politique ne veut pas parce que cela affecterait son pouvoir, son influence et ses calculs. Il faudrait donc se passer de politiciens obnubilés par les prochains rendez-vous électoraux. Surtout, il faudrait aussi entendre les vérités des uns et des autres et les admettre. En premier lieu, nombre de Français ont encore du mal à accepter l’idée que leur société est inégalitaire et qu’elle ne cesse de discriminer selon l’origine, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle et l’appartenance aux classes les plus défavorisées.

En 1995, quand Khaled Kelkal, un jeune de la banlieue lyonnaise, a participé à une vague d’attentats avant d’être tué, de nombreuses voix se sont fait entendre pour demander une vraie politique d’intégration et de réduction des inégalités. Elles n’ont pas été entendues.

Dix ans plus tard, en 2005, après les émeutes des banlieues, les mêmes demandes ont été formulées. En vain. Plus de vingt ans après, nous en sommes à un moment charnière où des enfants nés au milieu des années 1990 rejoignent les rangs de Daech et n’ont aucune hésitation à frapper leur pays natal. Et si rien de sérieux n’est accompli dans l’immédiat, on peut se demander ce qu’il en sera en 2025… Hollande a aussi été élu pour qu’il s’occupe « des quartiers ». On sait ce qu’il est advenu de cet espoir…

En second lieu, l’honnêteté commande de ne pas se focaliser sur les seuls efforts à faire en matière d’intégration. Il est temps aussi pour les communautés d’origine maghrébine qui vivent en France de regarder la situation en face et de procéder à un nécessaire aggiornamento. Je ne parle pas ici de questions religieuses et du débat à propos du renouvellement de la pensée musulmane mais de la manière dont on façonne le lien et le rapport entre les nouvelles générations et la France.

Disons-le franchement, trop de gens font en sorte, ou acceptent, que leurs enfants se complaisent dans une sorte de défiance à l’égard de ce pays qui, quelles que soient ses insuffisances, les éduque, les soigne et leur donne les chances, aussi minimes soient-elles, qu’ils ne trouveront jamais dans la terre de leurs parents.

Oui, il existe bien un sentiment anti-français chez nombre de Maghrébins de France. Il est plus ou moins assumé et l’on pourrait même le dire « structurel » sans pour autant le qualifier de « haine » ou de « racisme » comme on peut le lire ou l’entendre dans des productions de droite ou d’extrême-droite. Bien sûr, cela ne signifie pas que ce sentiment va alimenter une vague d’attentats. Mais cela crée les conditions pour une atmosphère délétère où les condamnations ne sont pas aussi fermes qu’elles devraient l’être, où des excuses sont toujours émises pour relativiser les abjections commises par certains et où l’opinion publique attend en vain des manifestations, ou plutôt des expressions, de loyauté qui auraient l’avantage de rassurer (et de raisonner) nombre de gens pris par la panique.

Par exemple, il est temps de dire que les petits plaisantins qui plantent de temps à autre un drapeau algérien sur le fronton d’une mairie française méritent un rappel à l’ordre et un long discours moralisateur sur le mal qu’ils font à leurs concitoyens musulmans mais aussi à l’image du pays de leurs ancêtres (où, d’ailleurs, ils ne veulent absolument pas vivre…).

Il est temps de dire aussi à cette jeunesse qu’elle ne devrait éprouver aucune réticence à dire qu’elle aime (malgré tout) la France parce qu’elle y est née. Et cela malgré toutes les difficultés qu’elle y rencontre et malgré le passé colonial dont ses parents et grands-parents ont été les victimes.

Il y a quelques semaines, c’était pendant l’euro de football, un ami d’origine algérienne m’a raconté qu’il avait corrigé son fils de dix ans, « zoudj sqali ou kef » (deux claques et un soufflet…) parce qu’il avait arboré le maillot des Bleus pendant le match entre la France et l’Albanie. On jugera cet exemple anecdotique mais il est pourtant emblématique. Cet ami est arrivé en France au début des années 2000. Il a aujourd’hui une situation matérielle enviable dont il concède qu’elle n’aurait jamais été possible au bled. Ses enfants sont nés en France et n’ont même pas de passeport algérien. Mais voilà, ils sont élevés avec l’interdiction d’éprouver un quelconque attachement à leur pays. Bien sûr, ce n’est pas cela qui les poussera vers la violence mais c’est bien cela qui, entre autre, mine la cohésion d’une France qui en a pourtant un besoin vital.

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