Europe : Terrorisme et Fausses Bonnes Solutions !

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Ce mois de juillet 2016 aura été marqué par le terrorisme et une impression de folie meurtrière perpétuelle, que cela soit en Allemagne comme en France (et bien plus encore en Irak, Syrie et Afghanistan). Mais c’est justement le moment de ne pas entrer dans le jeu de l’ennemi, qu’il soit terroriste ou interne et de partir dans les solutions les plus farfelues.

A la lecture des dépêches comme des commentaires des articles, on trouve de tout, mais surtout beaucoup de n’importe quoi, compte-tenu de la réalité de la situation. En voici un florilège et ce que cela apporterait.

• Rétablir la peine de mort pour les terroristes ? Attendu que la plupart se sont fait sauté ou ont été abattus, on peut considérer déjà que c’est fait. Mais pour le reste, il faudrait que cela soit dissuasif. Or, la promesse de l’EI à ses « soldats », c’est d’aller au paradis grâce à son sacrifice. Il n’y a donc pas de peur de la mort, donc aucune dissuasion là dedans. Et ce serait rejoindre aussi leur propre barbarie.

• Déchéance de Nationalité ? Le débat a fait rage pendant des mois avant son abandon, faute d’impact réel sur les aspirants terroristes. En plus, ce serait se dédouaner de la responsabilité du pays qui a vu naître ces personnes

• Mettre les fichés S en prison ? Les fichés S, ce sont les personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard ». Dans ce flou, on voit qu’une personne peut-être fichée S après une dénonciation calomnieuse, en attendant le traitement du dossier, ou bien que cela peut toucher d’autres sujets que le terrorisme de l’Organisation État Islamique, comme par exemple les manifestants de Greenpeace dans les centrales nucléaires, les hooligans russes, voire selon l’interprétation du pouvoir, les syndicalistes. La loi ne prévoit de mettre en prison des gens qui ont commis des crimes ou des délits graves. Pour certains fichés S, ce n’était pas le cas et il faut voir ce système comme un dispositif d’alerte lors de contrôles.

• Empêcher le regroupement familial ? Le regroupement familial date de 1975 (gouvernement Chirac) et permet à des membres d’une famille séparés entre plusieurs pays de se retrouver. Depuis l’été 2006, les familles ne peuvent introduire des demandes de regroupement familial qu’après 18 mois de présence en France, sous condition de présenter un travail stable avec des revenus supérieurs au SMIC net et un logement acceptable par sa surface et ses conditions de vie. Derrière ce refus potentiel, on considérerait que les terroristes sont donc tous des personnes immigrées, ce qui n’est pas vrai. En effet, on a vu des terroristes nés en France, certains non issus de l’immigration, et très rares sont ceux ayant bénéficiés du regroupement familial.

• Expulser les musulmans ? Cela contrevient au droit international, tout autant qu’à l’héritage historique de la France. Mais admettons un instant que cela soit mis en place. Cela sous-entendrait que ces personnes soient toutes étrangères ou disposant de la binationalité, ce qui n’est déjà pas le cas. Il faudrait que les pays d’accueil soient aussi d’accord pour ce reflux/afflux. Et comment faire le tri entre les pratiquants et ceux qui sont non-pratiquants. A travers l’histoire, des dictatures ont déjà tenté d’interdire des religions, sans succès. Enfin, cela rappellerait fortement l’époque, finalement pas si éloignée à l’échelle de l’humanité, de l’inquisition et des guerres de religion. Pas franchement une période de calme et de sérénité. Enfin les cas de terrorisme représentent une très infinitésimale partie des musulmans de France, si tant est qu’on puisse réellement considérer les terroristes comme de réels musulmans pratiquants.

• Faire de la consultation des sites jihadistes un délit ? Si l’on pouvait rapidement faire le tri entre curiosité et réel intérêt, le remède pourrait être pire que le mal pour nos services de renseignement. En effet, arrêter les personnes dès la consultation ne permettrait pas de démanteler des filières, et finalement pousserait ces personnes à masquer leurs consultations derrière des outils plus contraignants en termes de décryptage.

• Construction de prisons ? Il faut se souvenir que le pays ayant la plus forte population carcérale par habitants dans le monde est…. les USA (743 pour 100 000 habitants source), juste devant la Russie (568). La France a un chiffre de 96, comparable à l’Allemagne, la Hollande, supérieur aux pays nordiques et inférieur au Royaume uni. Il est pourtant difficile de faire une corrélation entre nombre d’homicides et nombre de prisonniers. D’autre part, de par la radicalisation possible en prison, on peut penser que pour certains cas, le remède peut être pire que le mal. A moins de ….

• Mettre à l’isolement de tous les détenus condamnés pour terrorisme islamique ? En effet, la France manque de possibilités d’isolement des détenus mais cela nécessite alors beaucoup plus de place, de personnel, d’aménagements. Seront-ils à l’isolement définitivement sur toute la période de leur peine ? cela pose la question de …

• Faire de la «perpétuité réelle» ? On considère alors le condamné comme définitivement perdu, sans possibilité de se racheter envers la société. Se posera alors la question de la peine de mort, évidemment, puisque le prisonnier devient un coût pour la société. Cette perpétuité réelle serait immanquablement élargie pour d’autres cas, comme la pédophilie, par exemple, ou d’autres crimes qu’on peut aussi assimiler à des maladies. Reste alors le débat sur les soins que l’on peut apporter, mais aussi sur la déradicalisation, terme incongru et vague. Sauf que ….cette perpétuité existe déjà et a été appliquée à 4 personnes depuis son entrée en vigueur en 1994. Elle concerne les cas de :

* meurtre avec viol, tortures ou acte de barbarie d’un mineur de moins de quinze ans ;

* meurtre en bande organisée d’une personne dépositaire de l’autorité publique (policier, magistrat, etc.) et ce, à l’occasion ou en raison de ses fonctions.

* assassinat avec viol, tortures ou acte de barbarie d’un mineur de moins de quinze ans ;

C’est au tribunal d’application des peines de statuer au bout de 30 ans sur la poursuite de la peine.

• Assigner tous les fichés S à résidence avec bracelet électronique ? Rappelons que ce dispositif transmet des signaux fréquents à un récepteur, lequel est placé dans le lieu d’assignation. Ce récepteur envoie à un centre de surveillance diverses informations (messages relatifs au fonctionnement du dispositif et à la présence de la personne placée dans le lieu d’assignation). Lors de l’émission d’une alerte, il convient alors d’avoir une géolocalisation du prévenu. Dans la réalité, les systèmes manquent de fiabilité et aucun moyen n’a été débloqué pour fiabiliser ces systèmes, notamment informatiquement.

• Rétention administrative des Français qui reviennent de Syrie ? Cela revient finalement à mettre en détention les fichés S, mais dans des lieux qui ne sont pas des prisons mais des centres comparables à ceux accueillant les étrangers auxquels l’administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français. On joue sur les mots mais la France ne dispose pas non plus de suffisamment de ces lieux.

• Rétablissement de la double peine ? Rappelons qu’il s’agit du cas où un étranger en situation régulière commet un crime ou un délit et peut être condamné à la prison ou à la réclusion (première peine) puis à l’interdiction du territoire français, entraînant de plein droit sa reconduite à la frontière, après avoir purgé sa peine de prison ou de réclusion (deuxième peine). Dans les faits, la mesure, amendée par Nicolas Sarkozy notamment, est mal appliquée et on ne peut ni dire qu’elle a été totalement supprimée, ni rétablie.

• Placement sous contrôle administratif des prêcheurs islamiques, ou expulsion ? J’ai volontairement repris le terme « islamique » utilisé par un parti politique. Il s’agit évidemment d’une erreur plus ou moins volontaire par rapport au vocable « islamiste », qui est déjà un abus de langage. Car s’il s’agissait de mettre chaque prêcheur d’une religion sous contrôle administratif, pourquoi ne le ferait-on pas pour les autres. Pour le reste, si un prêcheur appelle au meurtre, au terrorisme, il tombe de lui même sous le coup de la loi et on peut penser que le renseignement a infiltré déjà des lieux de culte par le passé. De fait, il n’y a rien à rajouté à la loi existante.

• Fermeture des mosquées salafistes ? Le terme mosquée est souvent utilisé de manière abusive. Si le Front National parle de 89 mosquées en France, il se garde d’en faire une liste. En réalité, il s’agit de lieux de culte qui ne sont pas toujours des mosquées, le chiffre venant du ministère de l’intérieur. Il conviendrait donc, en effet de fermer ces lieux clandestins….qui se récréeront encore plus clandestinement. Les terroristes de l’EI ont tous quitté les mosquées dites traditionnelles et officielles car considérées par eux comme corrompues par la France. Le sujet est plutôt de parvenir à redonner d’une part une légitimité aux imams, et d’autres part à ne pas avoir des formations d’imams selon le moule saoudien qui tend au salafisme, et qui ensuite peuvent ouvrir ou prêcher dans des lieux de cultes. Cela dit, il convient d’avoir un œil aussi du coté des mouvances extrémistes chrétiennes, comme Civitas, par exemple, ou juives, car on retrouve aussi des lieux clandestins et fortement politisés.

• Contrôles à nos frontières nationales ? Dans le cadre de l’UE et de Schengen, il y a toujours des contrôles et d’ailleurs, les tueurs du Bataclan s’étaient fait contrôler. Le problème est d’avoir suffisamment de données à ces contrôles pour pouvoir interpeler des suspects et statuer sur leur cas dans la période de garde à vue. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et le contrôle systématique de tous les véhicules n’est pas envisageable sans perturber le flux. D’autant qu’on a vu des individus non fichés commettre des attentats.

• Arrêt de l’immigration ? La phrase peut séduire ceux qui considèrent que le terrorisme est lié à l’immigration mais on a vu que ce n’est pas si simple (la proportion de personnes immigrées dans les prisons a fortement diminué). Il ne faut pas non plus négliger les apports de l’immigration, autant en terme de main d’œuvre qualifiée, qu’en terme de culture. Pas sûr, en l’occurrence, que les grandes entreprises soient friandes d’une telle mesure. D’autres pays dans le monde se sont déjà essayés à des mesures similaires mais les réseaux clandestins parviennent à s’organiser. Ne vaut-il pas mieux connaître les personnes plutôt que de les avoir dans le secret de la clandestinité ?

• Véto à la politique allemande d’accueil des migrants ? Rappelons que l’Allemagne a accueilli 30 fois plus de « migrants » que la France. Évidemment, c’est aussi pour des raisons de main d’œuvre, de vieillissement de sa population, mais il n’y a pas eu de transfert de ces populations vers la France, comme on essaie de nous le faire croire.

• Renforcement des sanctions judiciaires et application effective des peines ? La phrase est encore volontairement vague pour nourrir les amalgames. S’il s’agit des peines concernant l’expulsion des clandestins, on sait que l’on ne peut expulser une personne d’un centre de rétention sans garanties et accords sinon cela revient à la tuer. Avec une population carcérale trop importante, un problème de réintégration à la société des prisonniers effectuant de courtes peines, un risque d’aggravation de la situation par les rencontres en prison, et un manque de personnel pour le suivi et la surveillance, il y a effectivement un problème réel dans la justice. Ajoutons, dans le cas particulier du terrorisme, que l’ancien juge antiterroriste Trévidic notait récemment le fait qu’on traite des affaires liées au terrorisme dans des tribunaux correctionnels (maximum 10 ans), au lieu des cours d’Assise (10 ans à perpétuité), faute de moyens.

• Interdire le chiffrement/cryptage de données ? Les partisans de la surveillance ne voient pas d’un bon œil les logiciels de chiffrement pour les mails, les messageries instantanées. On a vu récemment cela avec Télégram, et pourtant l’organisation EI n’est pas la plus douée dans ce domaine. Mais d’un autre coté, on veut ou peut tout savoir de notre vie privée, l’enregistrer, le stocker avec des dérives considérables si cela tombe dans de mauvaises mains. Le débat n’a jamais eu vraiment lieu mais il peut y avoir un compromis à trouver. Sachant qu’on ne pourra jamais tout déceler, comme la NSA l’a prouvé récemment en ne prévenant pas les attentats de Boston, Orlando, …

Le jeu de l’organisation Etat Islamique (OEI) est justement de diviser, de nous monter les uns contre les autres, de créer un climat qui pousserait aussi les musulmans à fuir, pour cause de persécution. J’entends déjà l’extrême-droite acquiescer à cela, ce qui montre au passage que les intérêts de l’OEI et des mouvements néo-fascisant en Europe ne sont pas très éloignés. Pourtant, cela ne réglera en rien les problèmes latents de nos sociétés, sans parler des conflits géopolitiques mondiaux.

La tentation de la violence est évidente, et déjà suivie dans les mots, et mais déjà dans les actes par des bombardements qui tendent à rallier les populations locales à ….l’OEI, paradoxalement. Si les bombardements russo-syriens visent plus souvent les rebelles de l’ASL que l’OEI, les bombardements alliés touchent aussi largement les populations civiles, sans parler des actions de l’armée irakienne envers les populations sunnites. Dans cet imbroglio, il y a pourtant nécessité à agir militairement pour que cette organisation ne puisse se glorifier de victoires et d’avoir un territoire géré, et attractif. Mais là encore le manque d’implication des pays de la région de manière unie, l’image de corruption qui subsiste, ne facilite pas les choses. Derrière tout cela, il subsiste toujours un spectre de guerre de religion interne à l’islam, alimentée par la géopolitique et l’histoire de la région.

La tentation de la violence dans les mots, nous l’avons vu déjà après Nice. Coté Allemand, nous avons vu une Angela Merkel plus en retenue après les divers attentats et coups de folie (non liés à l’OEI).. Mais les racines du mal sont bien floues, pourtant et sans trouver des excuses à ces terroristes, il y a un besoin de s’interroger sur les dérives de notre société qui semble ne plus avoir rien à offrir à notre jeunesse. De ce coté, après ce florilège de mesures sécuritaires, nous n’avons pas entendu grand chose.

On se souviendra donc, en vain, du premier ministre norvégien (qui fut balayé lors des élections suivantes!) après l’attentat de Breivik et qui demandait plus de démocratie.

« J’ai un message pour celui qui nous a attaqué et pour ceux qui sont derrière tout ça : vous ne nous détruirez pas. Vous ne détruirez pas la démocratie et notre travail pour rendre le monde meilleur. Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance. » Jens Stoltenberg

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