Béji Caïd Essebsi est un peu agacé par cette Constitution qui l’empêche d’exercer le pouvoir avec l’autoritarisme qui sied à un élève assidu de Bourguiba.
Peu convaincu, très peu convaincu par une transition démocratique dont il espère l’agonie, ce cerbère de la dictature, pense et imagine que la Tunisie ne peut être gouvernée que par un homme à poigne et que sans un régime oppresseur à souhait, maniant avec dextérité la matraque et tous les instruments de torture, il n’ y aura point de salut pour un pays qui s’engouffre dans une crise socio-économique à l’issue incertaine.
Exiger qu’Essebsi change de vision et de culture politique à 90 ans c’est comme espérer qu’une péripatéticienne aguerrie se transforme comme par enchantement en une sœur carmélite, l’homme a ses mauvaises habitudes, ses mauvaises influences, ses mauvaises fréquentations et ses mauvais modèles, ceux-ci le condamnent à être ce qu’il est : un Président contrarié et déçu par la modestie des arguments constitutionnels dont il dispose et qui le confinent, bien qu’il n’en soit ni averti ni conscient, à une fonction bien dérisoire, bien accessoire, nécessitant une humilité à laquelle il n’est guère prédisposé.
Essid, quoique dissipé et effacé, choisi justement en fonction de son aptitude à être assujetti au pouvoir du Président, a été évincé dès lors qu’il a commencé à prendre ses distances de l’hôte de Carthage et a marqué, bien discrètement, son territoire, certes sans panache, mais avec la rectitude morale d’un commis de l’Etat, indisposé par les frasques de l’entourage immédiat d’Essebsi et par la volonté des lobbies mafieux de le soumettre à leur diktat.
Sa résistance velléitaire ne reçut pas l’appui de la classe politique tunisienne si bien qu’il dut se résigner à son sort, conscient qu’il était que l’enjeu dépassait largement le cadre d’un échec, en l’occurrence celui de son gouvernement, et que Essebsi en le sacrifiant, d’une façon brutale et inélégante, cherchait à provoquer une réflexion sur la nature du régime actuel, sur les limites d’une gouvernance « hybride » et sur la possibilité d’un amendement de la Constitution dans le sens d’un renforcement du pouvoir du Président et d’un affaiblissement de celui du chef du gouvernement.
L’enjeu est celui-là et le président, circonspect et prudent, n’a pas jeté toutes ses forces dans cette bataille de peur que ses alliés ne soient pas sur la même longueur d’onde que lui et qu’ils l’accusent de vouloir restaurer la dictature.
Or, un sujet aussi controversé, ne doit éveiller les soupçons de personne, c’est pourquoi, le Président ne ménage aucun effort pour que la crise s’aggrave et qu’elle débouche sur une situation d’ingouvernabilité propice aux changements abrupts, à la hussarde, nécessitant des décisions aux allures putschistes auxquelles l’opinion publique aurait été préalablement préparée par le truchement des relais médiatiques du régime et par ses nombreux experts dont l’animosité envers le projet démocratique n’est plus à démontrer.
Les deux prochains mois vont être décisifs, soit la classe politique et le syndicat font front uni pour contrer l’initiative du Président et la neutraliser, soit Essebsi va neutraliser le processus démocratique !
Quant aux élections municipales et régionales, si elles sont renvoyées aux calendes grecques, c’est parce que justement l’urgence (et la priorité) est l’arrêt de l’expérience démocratique !