Plus belle la vie....

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Après une suite d’expositions au Québec, au Japon et en Italie, mon amie Sophie revient montrer ses vouivres en France. Le vernissage aura lieu dans les premiers jours de novembre dans une petite salle de La Rochelle. Je téléphone à mon amie Marthe Dumas, du mas du Goth, pour l’inviter à m’y accompagner.

Rappelez plus tard, me répond-elle sèchement. C’est l’heure du feuilleton ! Je m’apprête à lui proposer deux belles journées à La Rochelle avec glace sur le port, promenade sur le mail, repas chez Christopher Coutanceau et mondanités, bien qu’elle n’en soit pas plus friande que moi, autour d’un "apéro-dinatoire" en compagnie de nos amis communs Sophie et son Hiboux d’époux, et elle me répond que son feuilleton télévisé est plus important !

J’allume mon poste pour vérifier et Marseille inonde mon salon. Mais non pas le Marseille des musées Borely, des Beaux-arts, Cantini et autre Mucem. Non pas le Marseille des calanques, du port de l’Estaque de Georges Braque, de la Bonne Mère ou de la Charité. Pas même le Marseille des quartiers nord avec ses trafics bien réels, ses vies brisées et ses rêves dispersés au gré du mistral. Mais un Marseille imaginaire où évoluent à un rythme saccadé les acteurs qui font régulièrement la page de couverture des hebdomadaires de télévision. Le Marseille de "Plus belle la vie" !

Toutes les turpitudes du monde semblent s’être données rendez-vous dans un vieux quartier du Panier d’opérette : la malhonnêteté, la jalousie, la trahison, la manipulation, le vol, le meurtre, le détournement, la convoitise, l’appât du gain et la concussion. Des sourires viennent certes régulièrement éclairer ce noir tableau mais l’innocence y sera bientôt trompée, la gentillesse moquée, la fidélité bafouée et la probité corrompue.

D’où vient alors que cette fiction des plus abracadabrantesques et porteuse à la fois de toutes nos noirceurs recueille autant de succès ? Est-ce pour ne pas voir une vérité que l’on sait ou que l’on craint plus sombre encore ? Pour ne pas assister à la vacuité des grands débats qui déchirent les écrans de télévision et les "une" des journaux ? Étrange manière d’échapper à la réalité ! D’autant que l’on y retrouve peu ou prou ces sujets dérisoires qui passionnent les médias, les politiques et autres "penseurs" en mal de reconnaissance.

La chasse aux Pokémons, le spectacle de milliardaires en short courant derrière un ballon, le barnum du tour de France à bicyclette, la taille des maillots de bain, les grand-messes de chevaux de retour ou de jeunes poulains ambitieux visant les plus hautes destinées hexagonales. Si cette mascarade était au moins diffusée aux heures les plus chaudes des journées de canicule ! Mais non. Elle l’est à la fraîche, comme disent les campagnards qui, eux, parlent plutôt de la sécheresse qui détruit leurs récoltes.

Mais les vendeurs de glaces ont le sourire, les vacanciers sont bronzés et les terrasses des bistrots saturées. Il faudra bien se décider un jour ou l’autre à regarder le monde tel qu’il est. Avec ces vrais dangers qui nous menacent toujours de leurs cortèges de souffrances et de peurs et leurs défilés de cérémonies compassionnelles. Mais aussi avec ses vrais espoirs qui piaffent d’impatience dans l’ombre des caprices, des modes, des scandales à trois sous et des jeux futiles. Il faudra bien se décider un jour ou l’autre à exiger des politiques qu’ils abandonnent le spectacle pour la profondeur de leurs idées.

À exiger des journalistes qu’ils ne s’intéressent qu’aux faits plutôt qu’à leur propre discours ou à leur audience et qu’ils ne montrent que des thèmes d’avenir tels que la lutte contre l’illettrisme et la pauvreté ou la protection efficace et durable de la nature. Il faudra bien se décider un jour ou l’autre à exiger que la comédie sorte des écrans et que la vie devienne réellement "plus belle" pour tous. Voilà, en attendant, bien des choses à penser.

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