Le prisme et l’horizon / Le message colombien

Photo

Parce que le triomphe de la paix, ou aussi bien son échec, sont des événements qui concernent l’humanité indépendamment du lieu où se déroule le drame, on ne saurait demeurer indifférent à ce qui vient de se passer en Colombie. Car les drames qui surviennent sur la planète ne doivent pas servir d’écrans les uns par rapport aux autres : c’est le même mal qui agit ici et là-bas et le combat contre lui est à mener partout où il se trouve.

Ce qui se passe en Colombie, c’est que la paix ne passe pas pour le peuple, malgré des années de négociation entre l’actuel gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc). Dimanche dernier 2 octobre, un référendum a révélé qu’une majorité de Colombiens était opposée à l’accord de paix signé le 26 septembre dernier entre le président Juan Manuel Santos et le chef des Farc, Timoleon Jimenez.

Cet accord de paix avait pourtant été largement salué par la communauté internationale : on y voyait la fin d’un conflit meurtrier qui durait dans ce pays du nord de l’Amérique du Sud depuis 52 ans avec son lot d’assassinats, de prises d’otages et d’opérations de représailles menées par l’armée. Le bilan est aujourd’hui de 260.000 morts, 45.000 disparus et 6,9 millions de déplacés par la violence.

Certes, la majorité qui a rejeté l’accord est courte : ils étaient 50,21 % de votants à dire non au document de 297 pages paraphé six jours plus tôt. De plus, le taux de participation était faible, très faible même, puisque l’abstention a atteint 62 %. Mais il est clair que l’enthousiasme auquel a donné lieu l’accord au niveau officiel des gouvernements et des chancelleries ne se retrouve pas au niveau du peuple… Il est clair que cet accord n’est pas accepté dans de nombreuses familles qui ont perdu un des leurs, qui n’ont pas oublié et qui n’ont pas envie de pardonner.

Il est clair enfin que cet état de choses risque, dans le silence des armes, de reconduire au sein de la société colombienne une guerre des âmes. C’est ce qui arrive fatalement quand une paix n’est pas accompagnée d’une réconciliation générale, quand elle est privée du pardon.

Aujourd’hui, en Colombie, le risque d’un retour du conflit armé est faible. D’autant que, dans la foulée de l’annonce des résultats du référendum, des pourparlers ont été engagés avec les figures politiques qui ont battu la campagne en faveur du «non». Parmi lesquels les anciens présidents Alvaro Uribe et Andres Pastrana. La fin du cessez-le-feu a été fixée à la fin du mois en cours, mais tout porte à croire qu’il sera reconduit à l’échéance de cette date…

En revanche, le risque d’une nouvelle forme de scission de la société, lui, est élevé, et cette scission serait d’autant plus insidieuse et dangereuse qu’elle ne serait plus délimitée par une ligne de démarcation, que ses frontières deviendraient beaucoup plus mouvantes et difficiles à cerner…

Le risque, comme dans beaucoup de pays qui ont été livrés à la violence à un certain moment de leur histoire, c’est que la paix à laquelle on parvient soit finalement une paix malade, une paix qui ne s’aime pas. Et qui, au lieu d’ouvrir des perspectives consacrant une cohésion nouvelle, nourrit au contraire des tentations de retour en arrière…

Pour l’ancien président Uribe, les guérilleros démobilisés devraient tous être incarcérés et ne pas bénéficier de peines alternatives ainsi que le prévoit l’accord de paix pour ceux qui ont reconnu leurs crimes… Cette contre-proposition, qui est sans doute ce sur quoi se sont retrouvés les adversaires de l’accord de paix, ouvre en réalité la voie d’une nouvelle négociation, d’un nouveau combat, plus salutaire qu’il n’y paraît à première vue : le combat en vue d’impliquer le peuple dans la recherche d’une solution dont l’enjeu est une vraie réconciliation…

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات