La chirurgie peut beaucoup.

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Par un courrier admirablement administratif, l’hôpital de la ville voisine prie mon amie Marthe Dumas de bien vouloir se plier à un contrôle de l’"implant prothétique au niveau de la tête fémorale gauche" posé il y a trois ans à la suite d’une mauvaise chute dans sa cuisine. Certes, elle ne danse plus le charleston comme au temps de ses vingt ans, mais à l’aide de sa canne, elle se déplace à présent avec "bon aise" comme elle dit.

C’est donc l’esprit dégagé de toute idée noire qu’elle se rend à la convocation. Les chirurgiens font en effet des miracles dans leurs salles d’opération. Ils peuvent réduire une fracture de la tête du fémur mais aussi de la clavicule, de l’omoplate, des côtes, du tibia, du péroné ou de l’auriculaire. Ils peuvent atténuer une chondropathie rotulienne du genou avec trois vis et un peu de plastique, ressouder les deux lèvres d’une plaie à la fesse droite avec du fil blanc ou, mieux, les recoller avec du monomère N iso-butyl-2 cyanoacrylate.

Par contre, ils ne peuvent pas remplacer des idées noires par des idées roses ou bleues. Ils peuvent changer un poumon encrassé de goudron par un poumon élevé en plein air, un foie au taux de gamma GT stratosphérique par un foie vierge à l’alcotest, un rein lesté de pavés de calcium et atrophié par un rein bien irrigué, un cœur à l’arrêt par un cœur qui bat. Mais ils ne peuvent pas remplacer des idées noires par des idées roses ou bleues.

Ils peuvent recoudre des doigts, des mains, des bras, des jambes, diminuer le volume d’un sein ou l’augmenter, le redresser, le sculpter selon les goûts de la femme ou les fantasmes de son amant, raboter un nez ou un hallux-valgus, repiquer des cheveux, allonger une verge, liposucer les graisses en excès sur la culotte de cheval, effacer les outrages du temps sur un visage et ceux des maternités sur un abdomen. Mais ils ne peuvent pas remplacer des idées noires par des idées roses ou bleues.

Les chirurgiens font des miracles dans leurs salles d’opération et les médias ne manquent jamais de s’en émerveiller. Il faut dire qu’ils s’y essaient depuis la nuit des temps. On a retrouvé en région parisienne, dans une sépulture remontant à 7000 ans, le squelette d’un homme dont l’avant-bras gauche manquait sans raison apparente. Les examens ont révélé que l’os avait été habilement tranché à l’aide d’un biface en obsidienne et les chairs soigneusement recollées. La plaie avait ensuite été si bien soignée à l’aide de décoctions et autres onguents à base de plantes bios que le blessé survécut quelques mois sinon quelques années.

Les archéologues ont même trouvé dans une grotte de Lozère des crânes vieux de 9000 ans portant des traces de trépanation. Que cherchaient à faire les praticiens d’alors ? Voulaient-ils éradiquer chez leur malade quelque incontrôlable frénésie sarkosienne, une violence immodérée envers leurs épouses, une agressivité exacerbée à l’égard de leur hiérarchie ? Essayaient-ils d’étouffer des conduites étranges comme de rêver devant la course les nuages, de parler aux elfes et aux korrigans ou de dire des poèmes dadaïstes aux enfants ? Tentaient-ils d’extirper des crânes de leurs victimes les voix divines qu’elles prétendaient entendre, le soir au fond des bois ?

Les scientifiques restent muets à ce sujet. Mais l’expérience a montré que ces ancêtres de nos cliniciens n’ont jamais pu, et probablement leurs descendants ne le pourront-ils jamais, remplacer des idées noires par des idées roses ou bleues.

Les psychologues, psychiatres et autres thérapeutes de l’âme et de l’esprit y parviendront peut-être un jour. Pour l’heure, il faut se contenter d’écouter Mozart, Bach ou Beethoven. Et méditer sur les mille sensations multicolores qu’ils nous laissent à penser.

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