C'était un lundi.

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Le ciel m’indique les saisons et presque le mois en cours. Le train-train quotidien me rappelle le nom du jour mais j’ignore souvent son numéro et je remercie mon ordinateur de me le signaler. C’est ainsi que je constate que le 15 novembre 1830 était un lundi. L’homme d’affaires Jacques Laffitte, venait d’être nommé président du Conseil et le journaliste et l’historien Adolphe Thiers au secrétariat d’État aux finances.

L’éditeur parisien Levasseur publiait Le Rouge et le Noir, le deuxième roman d’un certain Marie-Henri Beyle dit Stendhal. Le bocage normand resplendissait des ors de l’automne, le pied des haies était déjà tapissé d’une épaisse couche de feuilles mortes et la nuit tombait vite. Ce soir-là, le père Magloire achève de traire ses quatre vaches et, en attendant que la soupe soit chaude, il s’assoit sur le banc devant sa chaumière en se tenant les reins.

La récolte des pommes s’est achevée le matin même et elles font un joli tas auprès du cellier où attendent les barriques de chêne. Le pressoir itinérant devant venir dans les jours prochains, c’est encore une belle corvée en perspective même s’il aime la chaude odeur sucrée du mou qui s’écoule lentement dans le seau avancé au pied de la machine. « Alors, le père, lui demande son fils qui rentre de l’écurie après avoir bouchonné le percheron, quel temps demain ? » Le vieux paysan plisse le nez, se racle la gorge et grogne un « comme hier » fataliste.

L’air est encore bien doux en effet pour une mi-novembre qui aurait dû connaître déjà ses vraies premières gelées et les pluies, qui se sont faites rares à l’été, n’ont pas rempli les mares et les fossés. On ne le sait pas encore à la ferme d’Heuland accrochée à sa colline au milieu de ses pommiers ni au chef-lieu de canton, ni à Paris ni nulle part ailleurs mais cette douceur ne serait pas seulement due à un caprice du ciel. Il faudra attendre un siècle et demi pour que les scientifiques prennent en effet conscience du réchauffement climatique.

Ils affineront leurs mesures en remontant à jusqu’à ce jour fatidique, les enfourneront dans leurs ordinateurs et commenceront alors à crier au loup en constatant les désastres annoncés par leurs simulations. Il faut dire que depuis les temps médiévaux, une déforestation sauvage a complètement modifié les paysages campagnards. On a coupé un nombre incalculable d’arpents de bois, assaini des marais, irrigué des champs éloignés des sources.

Il faut produire toujours plus de blé, de viande et de lait pour nourrir une population toujours plus nombreuse et toujours plus exigeante. Et il faut envoyer dans les villes toujours plus de chênes, de frênes et de fayards pour fabriquer les charpentes et les boiseries des maisons construites par les fameux maçons de la Creuse et en alimenter les cheminées toujours plus gourmandes.

On ne le sait pas encore, mais le taux de CO2 dans l’air augmente dangereusement. Les industries, stimulées par l’extraction du fer et du charbon et le quadrillage du Pays par le Chemin de fer, vont ajouter leur part de plus en plus déterminante. Si l’on avait dit au père Magloire qu’à cause des mauvais baliveaux qui fumaient sous la marmite où cuisait sa soupe aux choux la banquise fonderait un jour et ferait ainsi monter le niveau des océans, il aurait bien ri.

Et pourtant ! Tandis que, debout sur sa terrasse, le vieux bougon contemple à son tour le canevas d’ocres, de jaunes et de safrans qui embrasent les futaies de son courtil, le gaz à effet de serre continue de proliférer, les climatologues du GIEC continuent de jouer les cassandres, les sceptiques continuent de douter, les écologistes continuent de se lamenter et une nouvelle COP se met en place pour tenter d’y remédier. Ce qui laisse bien des choses à penser.

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