Ce sera donc Fillon contre Juppé. D’un côté, l’ex-« collaborateur » de Nicolas Sarkozy – du moins, c’est ainsi que ce dernier qualifiait son Premier ministre. De l’autre, celui qui fut le meilleur d’entre eux, « eux » désignant, selon Jacques Chirac qui en fit son Chef du gouvernement, les multiples ténors de la droite dite gaulliste. Fillon-Juppé donc, avec un avantage certain pour le premier même si on sait désormais de quoi sont capables les sondeurs... En effet, au vu du score de dimanche dernier, la messe semble dite en ce qui concerne les primaires de la droite (et du centre) et il faudrait un miracle électoral pour que le maire de Bordeaux batte le député de la deuxième circonscription de Paris. Fillon qualifié... Halte aux cris et que l’on se garde de possibles désespérades. Quoi de plus normal qu’un homme de droite pour représenter des gens qui partagent la majorité de ses idées ?
Que le lecteur se rassure. Je ne vais pas lui infliger un nouveau texte sur l’air du « kif-kif bourricot » à propos de l’interchangeabilité idéologique entre Fillon et Juppé, notamment en ce qui concerne les questions économiques. J’avoue néanmoins que la tentation est grande. C’est d’autant plus vrai que nombre d’électeurs et de sympathisants de gauche se lamentent depuis plusieurs jours sur le fait que Fillon sera le champion de la droite (et du centre), lui l’ami de Poutine, d’Assad et de l’ultra-droitier collectif La Manif pour Tous. « J’aurais préféré Juppé, il est moins réac que Fillon » m’écrit ainsi un ami toulousain, plutôt gauche mollassonne. Ah, et depuis quand choisi-t-on son adversaire ?
Cela me rappelle un peu ces amateurs de football qui croient tellement peu en leur équipe qu’ils se prennent à espérer que le joueur vedette de celle d’en face se blesse ou soit suspendu (ou que pris d’un accès de folie subite, il ne marque volontairement un but contre son camp). C’est aussi comme ces commentateurs sportifs pour qui les Bleus sont de potentiels champions du monde mais qui souhaitent sans vergogne que le tirage au sort leur désigne des adversaires comme le Costa Rica, l’Islande ou l’Ouzbékistan…
Car, ce qui est finalement intériorisé dans l’affaire, c’est que la droite va l’emporter en avril prochain et qu’il convient de manœuvrer – ou de prier – pour que son représentant le plus acceptable (par les électeurs de gauche) aille s’installer pour cinq ans à l’Elysée.
Imaginez les complaintes auxquelles nous allons avoir droit si, comme nous l’annoncent les incorrigibles sondeurs, on se retrouve avec un affrontement Fillon – Le Pen au second tour de la présidentielle… Qui sait, ce sera peut-être l’occasion de trouver soudain quelques qualités à celui qui entend rallumer le flambeau du thatchérisme… Mais le rendez-vous printanier est encore loin et il reste la primaire de la gauche pour nous distraire.
En attendant, il convient de s’arrêter sur l’un des éléments ayant caractérisé ce premier tour droitier (et centriste). De nombreux analystes expliquent qu’Alain Juppé a perdu beaucoup de voix en raison de la campagne de dénigrement dont il a fait l’objet sur internet. La fachosphère, ce marigot pestilentiel qui combine calomnies, menaces, désinformation et attaques outrancières, s’est effectivement acharné à diffuser l’image d’un Juppé sous influence de l’islam politique voir de l’islam tout court. Surnommé « Ali Juppé » - on appréciera la finesse intellectuelle de la e-racaille vert-de-gris -, le concerné a reconnu qu’il ne pouvait rien faire contre de telles attaques.
Il est difficile de connaître l’impact réel de cette campagne. Il est aussi difficile de prouver que des armées de trolls au service de la Russie y ont contribué même si de nombreux indices permettent de le penser. Mais une chose est certaine, c’est bien la première fois qu’une élection en France est influencée, ne serait-ce qu’en partie, par le rapport, imaginé ou fantasmé, de l’un des candidats à la religion musulmane. C’est un précédent majeur et il y a fort à parier que cela va encore jouer en avril prochain.
Par le passé, des candidats ont été (bassement) attaqués sur leur vie privée mais qu’ils passent au crible d’une exigence d’hostilité à l’égard de l’islam est une première. Un homme politique qui accepte la construction d’une mosquée dans sa ville sait déjà le prix électoral qu’il risque de payer. Mais les choses vont désormais plus loin. Pour être élu, il va falloir prendre en compte l’existence d’un activisme électronique islamophobe.
Il est évident que des tweets, des posts sur Facebook ou des caricatures (on pense à celle de Juppé embrassant une babouche verte, autrement dit le sommet de la créativité artistique) ne font pas le vote. Mais cela crée un contexte. Un climat. Quel que soit le nom des candidats respectifs de la droite et de la gauche, on vient d’avoir une nouvelle preuve que l’élection présidentielle française est bien partie pour se dérouler dans une atmosphère viciée.
P.S : Impossible de terminer cette chronique sans évoquer le double-kif de dimanche dernier. D’abord, Sarkozy éliminé (ne boudons pas notre plaisir) et, ensuite et plus encore, les 0,3% de suffrages obtenus par Jean-François - pain au chocolat - Copé. Mais soyons magnanimes et oublions la référence aux viennoiseries. Comme jadis, pour les zigotos qui se présentaient à l’élection présidentielle contre Ben Ali (officiellement pour faire élire ce dernier…) voici donc comment il faudra appeler celui qui entend tout de même continuer à faire de la politique (quel autre métier faire sinon ?) : Jeff Zéro-virgule.