Poutinolâtres et Bacharogroupies

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Le sort des victimes civiles, autrement dit la question essentielle dans ce genre de situation (ou, du moins, celle qui devrait primer et être au-dessus de toute considération partisane) ? La réponse habituelle est que leur drame est à imputer aux combattants, tous désignés par le terme désormais passe-partout de « djihadistes », qui les prennent en otage, qui se cachent parmi elles ou qui les utilisent comme boucliers humains.

Si l’on évoque la question des hôpitaux détruits ou les ambulances ciblées, on a ce genre de réplique : c’est encore la faute des combattants – les « djihadistes » - qui se réfugient dans les premiers (en les transformant en centre opérationnel) ou qui utilisent les secondes sans aucun scrupule. Parlons alors de la population qui souffre des bombardements, qui n’en peut plus des privations et l’on s’entend dire que si elle n’est pas complice c’est donc qu’elle est prise en otage et qu’elle fuirait si elle le pouvait pour se réfugier dans la joie et la bonne humeur auprès de ceux qui veulent la libérer… en la bombardant.

Enfin, et comme c’est systématiquement le cas quand on s’indigne du sort des Palestiniens devant des partisans d’Israël, parler d’Alep-est en particulier et de la Syrie en général, c’est s’entendre dire « et le reste ? Pourquoi ne parlez-vous pas du Yémen ou de ce qui se passe à Mossoul ? » Ainsi, avant d’aborder le sujet de la Syrie (ou de la Palestine), il faudrait un liminaire aussi long que les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun où seraient citées les situations au Tibet, au Timor, en Birmanie, au Burundi, en RD Congo sans oublier le sort funeste des Premières nations d’Amérique.

Il est évident que la situation en Syrie et à Alep génère en Algérie comme en France des confrontations musclées tant les positions sont irréconciliables. Prendre position contre Assad et son régime, c’est être automatiquement accusé de faire le jeu des intégristes, d’être à la solde du Qatar, de l’Arabie Saoudite, des Etats Unis, de l’Otan et d’Israël. Affirmer, encore et encore, que la contestation syrienne était au départ pacifique – et cela parce qu’on l’a vu sur le terrain quand tant d’autres ne savaient même pas à l’époque où se trouvent Alep, Palmyre ou Homs – c’est se faire qualifier d’agent de propagande pour cette « main invisible » qu’aiment tant dénoncer les complotistes en tous genres.

Enfin, estimer que Vladimir Vladimirovitch Poutine est tout sauf un dirigeant progressiste porteur d’une nouvelle espérance pour tous les damnés de la terre, c’est se faire excommunier par les camarades d’hier qui restent engoncés dans la nostalgie des bonnes vieilles dialectiques anti-impérialistes et qui ne se demandent même pas pourquoi Poutine est si populaire auprès de l’extrême-droite européenne.

Ce qui me frappe dans la bataille des mots, c’est que de nombreuses personnes se positionnent surtout en fonction des médias occidentaux principaux. A les entendre, puisque des journaux comme Le Monde, le New York Times ou le Guardian dénoncent – ou critiquent - l’intervention russe en Syrie c’est donc que cette dernière doit être défendue et soutenue. Il est vrai que l’indignation médiatique occidentale à propos d’Alep est très sélective et que l’on aurait aimé entendre les mêmes discours quand les pauvres gazaouis mourraient sous les bombes à sous-munitions israéliennes.

Mais concernant la Syrie, on peut aussi se rappeler qu’une montre cassée donne l’heure exacte deux fois par jour. Autrement dit, aussi critiquables soient-ils, les médias « mainstream » peuvent parfois être dans le juste. En tous les cas, en tant que journaliste, l’auteur de ses lignes préfère de loin lire un papier dans ces publications plutôt que d’accorder le moindre crédit à cette floraison de sites dits alternatifs et qui ne sont qu’un ramassis de fausses informations et d’analyses tronquées cela sans oublier les médias financés par les fonds publics russes dont on est en droit d’interroger l’indépendance si ce n’est l’intégrité.

L’autre point marquant a été relevé dans une excellente tribune du journaliste Dominique Vidal publiée sur son mur Facebook (*). Il est frappant de voir à quel point l’ignorance caractérise tant de gens qui s’expriment à propos de la Syrie. Celles et ceux qui clament que le régime syrien est la dernière ligne de défense face à Israël semblent ainsi ignorer combien les Assad père et fils se sont accommodés de la cohabitation avec leur voisin.

Caractéristique de notre temps où l’opinion prime sur le savoir et la connaissance, ils écoutent à peine quand on leur parle du refus de la Syrie de se porter au secours des Palestiniens lors des évènements de Septembre noir en 1970. Inutile aussi de leur parler du martyre du camp palestinien de Tell al-Zaatar à Beyrouth, assiégé durant l’été 1976 par les milices phalangistes qui, après sa prise, s’y livrèrent à des massacres de civils (2 000 morts) avec l’aval et la complicité passive de Damas dont les troupes étaient pourtant présentes au Liban. Même chose, comme l’a rappelé Dominique Vidal, en ce qui concerne les massacres de Hama en 1982.

L’histoire récente de la Syrie est une longue séquence de répressions violentes et de négation forcenée de tout pluralisme politique réel. Il faudrait être fou pour souhaiter que ce pays tombe entre les mains de Daech ou d’autres groupes intégristes. Mais il faut prendre conscience que la perpétuation coûte que coûte du régime et de son mur de la terreur ne peut que préparer d’autres embrasements et d’autres tragédies. Ne pas se réjouir de la « victoire » de Poutine et de son désormais obligé qu’est Assad, n’est donc pas simplement une position éthique. C’est aussi de la clairvoyance.

(*) « Pourquoi ont-ils le cœur sec ? », 14 décembre 2016

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