Je me garderai bien de reconnaître à Wladimir Poutine un pouvoir tel qu’on pourrait lui attribuer la responsabilité du repli frileux de l’Europe. Poutine est un symptôme, un révélateur, tout au plus un catalyseur de la crispation et de l’effacement de l’Europe. Il n’en est ni l’initiateur ni même l’inspirateur.
La facilité avec laquelle il s’est hissé au premier rang des acteurs de la scène internationale doit tout de même nous fait réfléchir sur la longue liste des faiblesses américaines ou européennes sur lesquelles il a capitalisé.
L’efficacité de la protection diplomatique de Bachar al-Assad résultant du verrouillage du Conseil de sécurité par des vetos répétés n’a rien de russe. Ce sont les Etats-Unis qui ont été les maîtres de cette pratique pour défendre les plus injustifiables initiatives de leur protégé israélien.
Si les manipulations très grossières des faits par les médias russes rencontrent un tel succès d’audience auprès de toute une génération de citoyens européens ou arabes, c’est en partie au moins parce que les medias occidentaux avaient, pendant des décennies, été eux-mêmes coupables de lourdes contre-performances, notamment sur ce terrain du conflit israélo-arabe.
Pour le reste, mon cadre d’analyse est que l’Europe se replie sur elle-même car elle n’en finit pas de sortir du confort d’une longue période d’hégémonie. Les Européens vérifient qu’il est plus facile de prôner de nobles valeurs d’ouverture et de tolérance… lorsqu’on est en situation de domination et que rien ni personne ne vous demande des comptes et n’est en mesure de faire vaciller votre pouvoir.
Nous vérifions notamment aujourd’hui que l’époque où nous pouvions lancer des bombes à un bout de la planète sans nous soucier d’en recevoir chez nous est révolue. Cette constatation est très perturbante. C’est là que se trouve à mes yeux le moteur des transformations “idéologiques” en cours en Europe.
La conscience aiguë de la fin d’un règne, de la fin des raccourcis éthiques et politiques employés pour pérenniser une domination d’abord coloniale puis « impériale » par de multiples moyens allant du hard power le plus brutal à toutes sortes de manipulations. Poutine n’est qu’un acteur secondaire de ce moment de l’histoire auquel son pays sera inévitablement confronté lui aussi.