Où va la recherche scientifique en économie et gestion ?

Photo

(Et probablement dans d’autres disciplines scientifiques)

Au deuxième étage du centre Alyssa juste derrière le campus d'El Manar, on m'indique qu'il y a un monsieur chez qui on sous-traite l'analyse et l'interprétation des données. Une boutique qui a pignon sur rue et qui en quelques semaines peut résoudre tous les problèmes de la « partie empirique »…

Je vais le voir (pour vérifier si c'est vrai et sans décliner mon identité), il me demande si je veux faire un master, une thèse de doctorat ou un simple article "scientifique" à publier… il m'explique qu'il a toutes les données et qu'il peut tout faire à ma place… base de données, les banques tunisiennes ou étrangères, l’impact de la gouvernance sur la performance, l'audit, le ROI, les comités, les bases de données sur les entreprises en Europe, en France ou en Tunisie ?

Bref, il me dit de lui apporter l'article "qui me plait" et m'affirme qu'il me fera la même chose mais en mon nom… je lui demande combien cela coute, il m'explique qu'il prend de l'argent en fonction du nombre de chapitres de ma thèse, "vous voulez faire un, deux ou trois chapitres?" (me dit-il), la "gouvernance bancaire? Oui", "données de panel, oui", « vous n'avez pas à vous soucier » me dit-il et il me cite les noms de quelques collègues en finance et en économie qui auraient été de bons clients (je ne vais pas donner de noms parce que je n'ai pas de preuves (à part ses paroles) et pour ne pas gêner certains "docteurs").

Bref, je découvre un "monde": celui de la sous-traitance de la "recherche" sur les "bases de données"… que des "docteurs" et des "collègues" (que je respectais) sous-traitent ou ont sous-traité leurs recherches (de la base de donnée à la rédaction) contre de l’argent…après le choc je lui explique que cela n'est pas bien… que si les doctorats vont être copiés ou sous-traités il ne restera plus rien de crédible dans ce pays.. Je lui conseille d'aller lui-même faire sa thèse et de changer de métier… en tout cas, il y a visiblement un grave problème qui touche à la recherche sur des "bases de données"…un grave problème qui concerne les « valeurs » de la recherche et des chercheurs.

Ce que fait ce monsieur ne me semble pas illégal… mais le ministère et surtout mes collègues (je parle de ceux qui n’ont pas sous-traité ou acheté des parties de leur thèse) doivent bouger pour arrêter ce énième cancer… un vrai scandale.

J’ai passé mon week-end à penser à cela et à me demander si je dois en parler publiquement ou si je dois me taire … je suis certain que cela va me créer encore plus d’ennemis, que les médiocres auront quelque chose à dire pour esquiver… tant pis… Il faut absolument trouver une solution à cette dérive de la recherche sur des « bases de données »… si c’est cela la recherche scientifique, si c’est cela l’université tunisienne… je n’en veux plus. Je n’en veux plus !

J'ai relaté une triste vérité. Mais j'aimerais également partager avec vous une autre vérité : celle d'une majorité de jeunes chercheurs qui se battent dignement pour une recherche scientifique de qualité. Je le dis non pas pour justifier mon article ou pour maquiller une réalité. Je le dis parce que je le sais et que je le vis…une majorité (même si je n'ai pas de chiffres exacts) de chercheurs s'accrochent à des idéaux… ils et elles sont souvent isolé€s, oublié€s, délaissé€s, mais ils/elles se battent, ils/elles se battent parce qu'un jour, ils et elles ont rencontré la soif de la vérité et de la liberté (et pas qu'une "base de données" )… c'est aussi pour eux et pour elles que j'ai publié ce cri du cœur .

Nous avons en Tunisie, des jeunes (et des moins jeunes) capables de reconstruire ce qu'une minorité a détruit… et nous ne devons pas nous taire… même si je sais que ce billet me vaudra également des insultes personnelles…le ministère ne peut pas tout faire… beaucoup de choses dépendent de nous tous, enseignants, étudiants, chercheurs, etc. c’est aussi pour cela que j’avais proposé il y a quelque temps dans un de mes papiers de transformer les conseils de discipline en conseils de l’éthique et de la déontologie universitaire en leur donnant des prérogatives beaucoup plus larges et préventives…

Il y a des dérives, mais il y a aussi des jeunes (et quelques collègues) qui me font personnellement rêver… j’espère que nous pourrons/saurons les retenir…

Commentaires - تعليقات
Pas de commentaires - لا توجد تعليقات