Dire que cette campagne électorale est une pantalonnade est juste de l’ordre de l’évidence, mais dans le même temps, au-delà de la simple collection de faits affligeants, elle est terriblement révélatrice de la réalité de notre démocratie, elle stabilote à l’encre clignotante tout ce qui nourrit la colère profonde d’un nombre croissant de citoyens.
Revenons précisément au lâchage d’Hamon et à ce qu’il signifie concrètement, à la somme folle de forces qu’il met crument en évidence.
Le bal des faux culs
La première des leçons — pour tous ceux qui étaient paumés du côté de Mars ces 35 dernières années — c’est que ces gens-là n’ont rigoureusement aucune parole ni aucun sens de l’engagement. Pensons juste un instant au nombre incroyable de lâcheurs retourneurs de veste qui avaient signé un papier où ils s’engageaient à soutenir le candidat élu lors des primaires de leur parti.
Rien à foutre. Même pas un semblant de confusion. Non, rien de rien.
Ces gens s’engagent sur une certaine action et se dépêchent de tourner casaque à la première occasion. Et attention, il s’agissait de promesses entre eux, entre pairs, entre potes, entre compagnons du même camp politique.
Que penserais-tu de ce genre de personne si elle était de tes amis ? De tes collègues ? De tes proches ? De ta famille ?
Tu saurais que c’est juste quelqu’un en qui tu ne peux rigoureusement pas avoir confiance, quelqu’un que tu vas soigneusement éviter à l’avenir, quelqu’un sur qui tu ne peux en aucun cas compter. Un traitre. Un faux derche. Un boulet de classe internationale. Une hyène. Un bras cassé. Le genre de personne que tu laisses sonner à ta porte en faisant semblant de n’être pas là. Le genre de gus que tu blacklistes à jamais.
Pourtant, on devrait continuer à croire leurs conneries, à se sentir concerné par leurs jolis programmes parfumés au jus de licorne, à leur confier le destin collectif de notre pays, de notre région, de notre bled, de nos amis, de notre famille ?
Vraiment ?
Il faudrait leur faire confiance quand ils nous débitent des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient ?
Il nous faudrait réellement croire qu’ils se sentiraient plus engagés envers un troupeau de gus qu’ils ne connaissent ni d’Ève ni d’Adam (nous, en l’occurrence), plutôt qu’envers l’un de leurs potes de bac à sable ?
Sérieusement ?
La fin des idiots utiles
La deuxième leçon à tirer de cette histoire, c’est que depuis des années, le Parti socialiste se fout de la gueule du monde avec ses motions, ses courants et surtout son aile gauche, dont Hamon est précisément l’un des derniers représentants.
Je me souviens avec une particulière acuité du sentiment de colère qui avait habité Mélenchon suite à la forfaiture de Versailles en 2008. À l’époque, il n’en pouvait plus des renoncements de son parti, mais en même temps, il était convaincu qu’il fallait y rester, que l’on ne pouvait le changer que de l’intérieur, que les motions et les courants de gauche finiraient par prendre le dessus dans les instances et tailler des croupières à la vague capitaliste libérale qui avait englouti le parti et qui dictait sa loi au pays comme aux adhérents, ses deux pieds glaiseux négligemment posés sur la table.
On peut comprendre cette logique, celle du ver dans le fruit, de la contamination des esprits. C’est relativement facile à défendre tant que tu n’es plus qu’un appendice superflu au cul de la verrue géante. La caution nécessaire d’un parti qui a définitivement tourné le dos à ses valeurs premières, mais qui a encore besoin de faire semblant de les défendre pour bien racler les dernières voix populaires qu’il y a à récurer au fond de la casserole.
Et comme le disait déjà Mélenchon à l’époque : «on ne quitte pas un parti d’élus»
Il faut bien comprendre le concept : un parti d’élus, c’est moins un parti qui gouverne, qui décide, qui met en œuvre qu’un parti où il y a moult prébendes, bonnes places et privilèges à se répartir entre potes. Autrement dit, c’est avant tout un parti qui assure de larges accès à la gamelle, moyennant une certaine adhésion à l’art des coups bas, des compromissions et de la politique d’arrière-cuisine.
Finalement, Mélenchon a fini par comprendre, mais nombre de ses potes se sont accrochés au mythe de l’aile gauche du parti et ont donc joué — consciemment ou pas — le rôle d’idiots utiles du parti anciennement socialiste, afin de continuer à leurrer ceux de leurs adhérents, partisans et électeurs qui n’auraient pas encore succombé à l’appel de la grande glissade à droite.
Le fait est que le jour où l’aile gauche du parti prend les rênes à la sortie des urnes, tout ce beau monde s’empresse de se barrer en courant autour du candidat officieux — mais pas tant que ça — de la finance, des médiats et du patronat.
Voilà qui en dit long sur la fibre sociale-démocratique de tout ce petit monde.
La dissolution du peuple
La troisième leçon aurait déjà dû être tirée du résultat concret de la censure populaire du TCE en mai 2005. Mais il y a certaines évidences qui crèvent tellement les yeux qu’elles finissent par rendre aveugle.
Ces gens-là n’en ont rien à foutre de la démocratie. Mais alors, rien de rien. Le vote du peuple, pour eux, c’est juste le blanc seing nécessaire pour continuer à faire leurs petites affaires entre amis. Rien d’autre. Et si ce qui sort des urnes ne leur convient pas, la seule attitude possible et raisonnable selon eux, c’est de l’ignorer.
Hamon n’est pas sorti du bois un soir d’orage, il n’a pas mené une OPA sauvage sur le parti, il n’a pas commis de putsch militaire, il n’a pas subverti la presse, les instituts de sondage, il n’a pas envoyé ses clebs régler le scrutin à coup de barre à mine, il n’a pas bourré les urnes, il n’a même pas envoyé les morts voter. Non, il a juste mieux convaincu les votants que les autres.
Évidement, on peut ergoter sans fin sur le sens même de l’organisation des primaires dans ce pays, de cette vaste entreprise qui consiste à priver le suffrage universel d’une nécessaire diversité de candidatures et de le subroger à un vote censitaire.
L’idée même qu’il fallait payer pour aller voter est déjà une affaire profondément révoltante, une renonciation, un dévoiement des institutions qui n’avaient déjà pas besoin de ça pour crouler sous le poids de leurs propres contradictions internes.
Mais bon, cette fois-ci comme les autres, le peuple a mal voté, ignorons le peuple et continuons notre petit plan à nous, l’air de rien.
Quand je pense qu’on s’était payé la fiole d’un type qui avait dissout l’assemblée.
Depuis, c’est nous qui avons été dissouts des dizaines de fois dans des flots d’acide cynique.
Le mépris
Mépris des engagements, mépris des minorités, marginalisation des alternatives et mépris de la démocratie… voilà ce que nous raconte le lâchage d’Hamon et l’engouement soudain pour la marionnette Macron qui, comme les autres, a bien du mal à nous sortir un projet légèrement plus consistant que l’objectif réel et concret de toute cette vaste fumisterie : avoir les meilleures places au grand banquet de la République.
Les autres leçons ne sont pas à aller chercher bien loin : l’effondrement total de Fillon restera probablement dans les annales comme l’exemple indépassable du genre de personnalités monstrueuses que la course au pouvoir et aux avantages personnels peut produire de plus vil.
Là aussi, les symptômes sont incroyablement révélateurs : aucun sens des responsabilités, de la parole donnée, mépris pathologie du peuple, syndrome de toute puissance qui se traduit par l’assurance d’être au-dessus des lois et du commun des mortels, déni récurent de la réalité, totale absence de scrupule, gout du luxe, croyance enfantine d’être supérieur à tous les autres et d’être donc légitime à avoir le meilleur, à donner des leçons et à ne jamais avoir à rendre de compte à qui que ce soit.
Et après tout cela, on veut nous convaincre qu’il n’y a rien de plus important que d’aller glisser un bout de papier dans l’urne…