Le lecteur qui suit cette colonne – et que nous ne remercierons jamais assez pour sa fidélité – saisit certainement le clin d’œil lorsque nous écrivons que le boutonneux à la voix en perte d’octaves a encore sévi en obligeant le présent chroniqueur à subir le « débat » entre les onze candidats à l’élection présidentielle française. Diffusé sur CNews et BFMTV, mené par les très agitées et faussement impartiales Ruth Elkrief et Laurence Ferrari, cet étrange exercice a, semble-t-il, passionné les téléspectateurs puisqu’ils auraient été 10 millions (et moi, et moi) à le suivre. A ce sujet, il paraît- on résiste à l’envie de reprendre le très algérien « paraît-il que » -, il paraît donc que l’engouement pour ce rendez-vous inédit a traversé la Méditerranée et fait le bonheur du public maghrébin.
« C’est beau la démocratie » a même écrit à ce sujet un internaute tunisien, peut-être lassé par les (longs, trop longs) talk-show de chez lui, l’un d’entre eux, on le signale au passage, ayant récemment concerné les dégâts de la vente pyramidale dans son pays, mais ceci est un autre sujet sur lequel on reviendra peut-être.
Démocratie ? De la démocratie, cette cacophonie où le discours des uns et des autres était haché et parfois même inaudible ? On ne voit pas très bien l’intérêt politique et citoyen de ce genre de « performance ». Certes, ce fut effectivement un bel exercice de liberté d’expression. Chacun a pu dire ce qu’il avait à dire, peut-être pas de la manière qu’il espérait et certainement pas sur la durée qu’il entendait (ah, ces deux voix de crécelles qui hurlaient « vous avez dépassé le temps imparti ! »). Mais dans l’affaire, l’expression du peuple, censée être l’un des piliers de la démocratie, n’a guère eu de rôle à jouer.
A quoi sert ce genre de spectacle ? On imagine que chacun des impétrants avait en tête ses éléments de langage et ses messages à faire absolument passer. Certains, comme Emmanuel Macron, ont parfois placé des phrases qui, à l’évidence, ont été préparées à l’avance quand d’autres, on pense à Philippe Poutou, ont plus improvisé même si, pour ce dernier, on devine qu’il avait déjà dans sa cartouchière l’attaque frontale contre Marine Le Pen mais aussi François Fillon - vous savez le candidat qui gagne treize mille euros et qui n’arrive pas à épargner et qui est donc obligé de se faire payer des costumes par des amis (et alors ?) et d’employer (vraiment ?) sa femme.
« Nous, quand on est convoqués par la police, on n’a pas d’immunité ouvrière ». Le candidat du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et ouvrier à l'usine Ford de Blanquefort a déclenché les applaudissements du public avec cette saillie qui fera date. Voilà, finalement, à quoi sert ce genre de mise en compétition. Il faut parler fort, il faut cogner le voisin ou la voisine, il faut caricaturer son propre propos parce que ce que le temps manque et que la crécelle va passer la parole à quelqu’un d’autre. Il faut trouver le moyen, en une poignée de secondes, de faire en sorte que le spectateur garde en mémoire ce que l’on a balancé sans finesse ni retenue à l’image du « la France est une université du djihadisme » de Le Pen.
Autrement dit, au-delà du caractère presque ludique de l’affaire, ce genre de spectacle n’a aucun intérêt si ce n’est de faire croire que la télévision a encore de l’influence sur les joutes politiques. Il est même affligeant de se rendre compte que le débat électoral a été transformé, l’espace d’une soirée, en stand-up, façon Jamel comedy club.
Les sondages disent – et l’on sait combien il faut être prudent avec les prévisions – que nombre d’électeurs sont encore dans le flou et qu’ils ne savent toujours pas pour qui voter. On se demande en quoi le hachis verbal auquel on a assisté mardi soir – jusqu’au bout, oui môssieur – va les aider à se faire une idée plus précise. Dans ce genre de situation, le premier réflexe risque fort d’être une inclinaison plus marquée vers l’abstention.
Dans une compétition électorale, il n’y a pas de formule télévisuelle miracle. Mais les électeurs, et la démocratie, méritent mieux que cette vente à la criée. C’est là où on réalise que le service public n’est pas au rendez-vous. Qu’est-ce qui l’empêche d’organiser onze soirées électorales pour que chaque candidat ait le temps de s’exprimer et de débattre à la fois avec des journalistes spécialisés mais aussi des spectateurs ?
L’idée est de donner du temps pour que le projet soit présenté et précisé. Ce n’est pas en regroupant cinq, sept ou onze personnes que l’on éclaircira les choses. Le « débat » de mardi soir n’avait rien à voir avec la politique. Ce fut ce que l’on pourrait qualifier de « politictainement », c’est-à-dire une manière de distraire avec de la politique et des politiciens.
Et dans le domaine de la politique-détente, on n’en est qu’au début de ce qui peut être proposé au spectateur. Qui sait, demain, les candidats devront peut-être jongler avec un ballon, nous raconter leur premier chagrin d’amour ou bien, et c’est l’idée qui nous est venue en les regardant droits derrière leurs pupitres, ils seront obligés de participer à un quizz à plusieurs thèmes (sport, culture générale, politique, philatélie…). « Quelle est la capitale administrative du Balouchistan ? Mais appuyez sur le buzzer avant de répondre, monsieur Mélenchon ! » ou encore « quelle est l’origine du mot pognon ? Oui ! Très bonne réponse de monsieur Fillon… ».
Qu’on se le dise, le spectacle ne fait que commencer…