D’où vient le problème ? A quoi, à qui, devons-nous l’état actuel d’une grande partie de l’Europe laquelle semble renouer avec ses vieux démons ? Nationalisme, populisme, xénophobie et islamophobie : il faudrait être inconscient pour ne pas s’inquiéter devant pareil contexte. On dira que ce n’est pas le problème des pays du sud, notamment du Maghreb, mais ce serait faire fausse route. Car la manière dont évolue le vieux continent et l’existence de courants politiques qui l’écartèlent auront nécessairement des conséquences sur tout l’environnement régional.
La montée en puissance des forces populistes pour ne pas dire néo-fascistes n’est pas qu’une simple affaire euro-européenne. Comme le montrent les récentes consultations électorales, ces forces ne sont plus uniquement des composantes marginales des échiquiers politiques. Elles ont la capacité de l’emporter à moyen terme ou peut-être même à court terme. Et il suffit d’interroger l’histoire pour comprendre la gravité de la situation et de réaliser à quel point cette région du monde est capable d’exporter ses tempêtes et d’entraîner avec elle le reste du monde.
L’échec de l’Union européenne (UE) en tant qu’institution fédératrice (et non fédérale, la nuance est de taille) est l’une des raisons majeures de cette situation. Bien sûr, les réalisations sont impressionnantes et il faut reconnaître le caractère atypique et exceptionnel de ce regroupement d’Etats. Mais année après année, la machine communautaire s’est déréglée et ses dirigeants n’ont pas pris conscience des enjeux créés par plusieurs décennies d’ouverture économique, de dérégulation et de politiques d’inspiration libérale. Et cela même si de nombreux responsables européens continuent de clamer que l’UE a toujours gardé le cap en matière de renforcement des protections sociales et de défense des libertés fondamentales.
La caricature veut que l’Union, et plus particulièrement la Commission européenne, s’est perdue en fabriquant à tout va des textes normatifs et tatillons dont quelques-uns prêtent effectivement à sourire. Mais, au-delà de l’anecdote, la vraie leçon à tirer est qu’une intégration économique régionale peut s’avérer dangereuse sans une démarche politique de même intensité et de même ambition.
Or, les pays membres ont toujours refusé cela y compris lorsqu’ils ont décidé, pour certains d’entre eux, d’abandonner leurs monnaies nationales au profit de l’euro. Comment pouvait-on penser que la création de la monnaie unique pourrait donner des résultats tangibles – autres que ceux attendus par la sphère banco-financière – sans l’existence d’un vrai pouvoir politique européen ? Un pouvoir capable de dire non aux marchés financiers et à la Banque centrale européenne (BCE) ?
La question de la fiscalité témoigne de cette réalité. Qui peut croire que l’Union européenne est un projet viable à long terme quand on sait que certains de ses membres se sont organisés pour capter – on pourrait même écrire détourner ou voler – une partie des recettes fiscales potentielles de leurs voisins et partenaires ? Quoiqu’en disent les défenseurs acharnés du processus de « construction européenne » cette question fondamentale n’a jamais été réglée.
Si de nombreux Etats membres de l’UE n’ont pas les moyens de renforcer leurs amortisseurs sociaux pour lutter contre les effets négatifs de la mondialisation ou pour mettre en place des politiques d’inspiration keynésienne afin de relancer l’activité, c’est parce que l’idée d’une redistribution organisée et planifiée à l’échelle de l’Union n’a pas été une priorité.
Dans un monde où même les Etats qui professent avec ardeur leur foi dans le libre-échange se dotent de barrières protectionnistes qui ne disent pas leur nom (cf. les subventions agricoles aux Etats Unis), l’Union européenne a été l’idiote utile de la mondialisation. La zone où la libre-concurrence a été érigée en dogme absolu au détriment, par exemple, des petites et moyennes entreprises qui ont été privées de mesures incitatives comme c’est le cas aux Etats Unis avec le « small business act ».
Au cours des dernières décennies, une idée simple s’est imposée comme une évidence indiscutable. Selon elle, c’est l’économie (libérale) qui serait le moteur principal de la construction européenne. La paix, la concorde entre les peuples, le développement commun et la stabilité politique, tout cela serait garanti par l’amélioration constante des environnements des affaires. On connaît le résultat.
Certes, l’Europe regroupée est la première puissance économique mondiale mais c’est aussi une terre d’inégalités croissantes et de disparités régionales. Et ne parlons pas de la Grèce dont le sort et le traitement par ses pairs de l’UE démontrent que l’expression « solidarité européenne » ne veut absolument rien dire.
Dans de telles conditions, la nécessité de repenser (et refonder) le projet européen devrait être au cœur des discours et des projets politiques. Le 25 mars dernier était célébré le Traité de Rome, autrement dit l’accord instituant la Communauté économique européenne (CEE) entre six pays fondateurs (Allemagne de l’Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas). Ce fut l’occasion pour quelques discours et propos satisfaits. Mais de souffle nouveau, point.
Le Brexit était dans tous les esprits (même si la Grande-Bretagne n’est pas un membre fondateur de la CEE), chacun se demandant qui sera le prochain à rendre les clés. A moins qu’une tempête brune ne devance tout le monde en démolissant un édifice déjà bien branlant.