Deux cent quarante morts et 200.000 déplacés depuis six mois : c’est le triste bilan d’un petit pays africain dont on entend peu parler, mais dont l’actualité menace de renouer avec un passé qui rime avec massacres de masse.
Lundi 9 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est penché sur son cas pendant trois heures et demie. Il s’agit du Burundi qui, comme son voisin du nord, le Rwanda, a été livré à plusieurs reprises à la guerre civile et au démon génocidaire sur fond de rivalités ethniques entre Hutus et Tutsis.
Le scénario macabre et horrifiant qui a marqué les esprits de la communauté internationale dans les années 90, en provenance de cette région des Grands Lacs, peut-il vraiment se répéter ? Peut-il le faire à l’heure de l’Internet et des téléphones portables munis de leurs caméras ? Peut-être pas. Mais la menace d’un réveil des haines ethniques a été agitée sur les ondes, comme une arme brandie pour mettre fin à une crise politique. Il est bon que la gravité de ce jeu-là n’ait pas été écartée des esprits d’un revers de main !
La crise en question remonte à avril dernier lorsque l’actuel président, Pierre Nkurunziza, qui avait effectué déjà deux mandats, a annoncé qu’il se représenterait pour un mandat supplémentaire malgré les dispositions de la Constitution l’interdisant, ainsi que celles de l’accord dit d’Arusha — dont Nkurunziza est signataire —, qui avait mis fin à la guerre civile en 2005.
L’élection, dans des conditions logiquement troubles, a eu lieu en juillet dernier et, bien sûr, elle n’a pas mis fin aux contestations. D’où un ultimatum lancé par le pouvoir aux manifestants, qui a expiré samedi dernier.
Ses termes se prêtent à des interprétations très alarmistes : «Tous les moyens seront utilisés»… A quoi ont fait écho, du côté du parti du président — à dominante hutu —, des propos à connotation douteuse qui, de façon indirecte, taquinent le nerf des antagonismes ethniques.
Ces menaces plus ou moins voilées, qui interviennent dans une atmosphère déjà marquée par la terreur au niveau de la population, n’ont pas échappé aux dirigeants du voisin du nord, dont le président, Paul Kagamé, est un Tutsi. C’est en partie lui qui a donné l’alerte… Lors de l’audience au Conseil de sécurité, le Haut commissaire de l’ONU chargé des droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a cependant fait état de «corps jetés à la rue presque chaque nuit». Ce qui renvoie surtout à la période qui a suivi une tentative de coup d’Etat contre Nkurunziza en mai dernier.
Mais les violences n’ont pas cessé depuis, et ont connu un regain ces derniers jours. Le constat est celui de populations apeurées et d’une opposition forcée à l’exil, même si, avec l’aplomb que pratique le discours de toute dictature, on assure du côté du pouvoir que tout est dans l’ordre au Burundi, mis à part quelques trublions.
Un projet de résolution est donc à l’ordre du jour au Conseil de sécurité. Fidèle à une sorte de répartition des rôles, la Russie a plus ou moins fait savoir qu’elle ne voterait pas un texte de condamnation, considérant qu’il s’agit d’affaires internes au Burundi. Pourra-t-elle cependant mettre son veto à une résolution qui demande à l’ONU de renforcer sa présence de manière à prévenir tout dérapage insidieux ? On n’ose le croire ! Les jours qui viennent nous diront en tout cas ce qu’il en est.