Elections en France « Voter FN est un acte raciste, il faut appeler le racisme par son nom »

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Il faut le constater : après tant avoir craint un débat ennuyeux sur l’identité et les émigrants, dans la campagne présidentielle française on est en train de parler beaucoup de politique réelle. Les sujets au goût de l’extrême-droite ont été marginalisés. Les français ont préféré se concentrer sur le social, les recettes économiques, l’Europe, la politique étrangère. Pour le premier tour de dimanche prochain il y a quatre options qui ont la possibilité de gagner, un fait complètement nouveau.

La campagne confirme que la française est une société très politisée.

Les français détestent les hommes politiques, mais ils adorent la politique. C’est une population très politisée qui parle beaucoup de politique. De nombreux analystes affirment que les français se sont droitisés. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec cela. Je crois que chacun se radicalise dans son spectre : ceux de droite sont plus à droite, mais les électeurs altermondialistes le sont chaque fois plus… Et les racistes, aussi.

Comment voir les quatre offres en lice ?

C’est ce que j’ai appelé la quadripolarisation de la vie politique. Il y a quatre blocs. L’un est l’altermondialiste, qui va voter pour Mélenchon. Un bloc pro-mondialisation et ouvert vers les minorités, aussi bien maghrébins comme LGTB, qui votera Macron. Un autre bloc pro-mondialisation, mais hostile aux minorités, les conservateurs de Fillon. Et finalement il y a un bloc qui est nationaliste et raciste qui va voter Le Pen.

Pas tous ceux qui votent sont des ultra-droites et des racistes …

Ils le sont. Dans cela je suis d’accord avec Emmanuel Todd, qui dit que les gens du sud de la France, du Midi, n’ont pas d’excuse pour voter le FN, parce qu’ils ne vivent pas dans une zone industriellement déprimée, ni leurs revenus sont bas, donc ils doivent être jugés comme ce qu’ils sont : de pures racistes anti arabes.

Au sujet de l’électorat du FN du nord, les ouvriers les plus pauvres et précaires du nord, on pourrait dire qu’ils votent FN par désespoir, mais, pardonnez-moi, ils pourraient opter pour l’égalité, la redistribution de richesse et contre la finance. Cependant, la majorité préfère frapper sur ceux qui sont les plus faibles, plus précaires et plus pauvres qu’eux, les émigrants et les Arabes… Il faut arrêter de chercher des excuses.

Y a-t-il une augmentation du racisme en France ?

Elle s’exprime avec circonlocutions et allusions. Au lieu de dire les « français d’origine maghrébine », ils disent « les musulmans », ou « les émigrants ». Ils disent « l’islam n’est pas compatible avec la République », ou « la France doit défendre ses racines chrétiennes » au lieu de dire, « j’ai un problème avec les gens d’origine maghrébine ». C’est cela le racisme. Et le fait d’être à côté des pauvres et des précaires ne devrait pas empêcher d’enlaidir la conduite des secteurs populaires racistes.

Assistons-nous à une révolte générale contre les élites ?

Oui, mais il y a différents contenus. Il y a une révolte raciste et il y a une révolte altermondialiste qui défend le protectionnisme, la redistribution de la richesse et une transition écologique. Dans tout pays vous vous trouverez avec cette dualité. La mondialisation malheureuse pousse de plus en plus de gens vers la précarité : les gens qui ne savent pas où ils seront socialement le mois suivant. Dans beaucoup de pays riches cela touche la majeure partie de la population. En France, la précarité représente la moitié de la population.

Alors, pourquoi ne gagnent-ils pas ?

Parce que l’offre est divisée par la révolte altermondialiste et la révolte raciste. Quand celui qui applique le programme de la mondialisation malheureuse est un parti de gauche, il arrive l’une de ces deux choses : ou bien il y a un changement de leadership dans le parti et arrive à sa tête un altermondialiste – comme dans le cas de Corbyn, et presque dans celui de Sanders – ou bien le parti coule et est dépassé par un autre à sa gauche : c’est la dynamique de Podemos en Espagne, en Grèce et de presque dans la totalité de l’Amérique Latine.

Dans quelques pays gagne l’offre raciste (la Hongrie, les États-Unis d’Amérique), dans d’autres gagne l’altermondialisme, le Brésil de Lula, la Bolivie, l’Équateur… Un facteur qui joue dans un sens ou dans l’autre, c’est si le pays a subi une expérience récente de dictature de droite ou de gauche. S’il y en a eu une de droite, la révolte penche vers l’altermondialisme, le cas de l’Espagne, de la Grèce, du Portugal ou de l’Amérique du Sud avec leurs dictatures militaires.

Quand, au contraire l’expérience est des dictatures de l’Europe de l’Est (la gauche), alors l’offre altermondialiste n’arrive pas à naître et c’est l’extrême droite qui dirige la rébellion. Dans les pays où il n’y a eu aucune de ces dictatures, le cas des États-Unis d’Amérique, de la France ou du Royaume-Uni, les deux vecteurs apparaissent ensemble. Je crois que c’est ce qu’il se passe en ce moment.

Mélenchon peut-il gagner ?

N’importe lequel des quatre peut être au deuxième tour. Et si l’un des deux finalistes est Le Pen, le gagnant sera toujours l’autre. Ainsi il y a une possibilité que le candidat altermondialiste gagne, si son adversaire au deuxième tour est Marine Le Pen. Selon mon opinion, c’est l’unique cas.

L’élément décisif est l’électorat du centre, et l’unique cas dans lequel ce segment voterait pour un candidat altermondialiste qui lui fait peur sur des termes comme la redistribution de la richesse, c’est si son adversaire est la candidate raciste. Cela contredit ce qui a l’habitude d’être dit depuis la gauche, que « ils préféreront toujours l’extrême droite au changement », mais c’est ainsi et il faut le dire à son honneur : seulement la moitié de la droite opterait pour Marine Le Pen, l’autre moitié ou s’abstiendrait ou voterait même pour Mélenchon.


* Rafael Poch, Rafael Poch-de-Feliu (Barcelone, 1956) a été vingt ans correspondant de « La Vanguardia » à Moscou et à Pékin. Avant il a étudié l’Histoire contemporaine à Barcelone et à Berlin-Ouest, il a été correspondant en Espagne du « Die Tageszeitung », rédacteur de l’agence allemande de presse « DPA » à Hambourg et correspondant itinérant en Europe de l’Est (1983 à 1987). Actuellement correspondant de « La Vanguardia » à Paris.

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