Les résultats encore non définitifs dont nous disposons en ce dimanche soir sont tombés mais ils ne laissent guère de doute sur l’issue finale : Emmanuel Macron et Marine Le Pen seront au second tour, avec un léger avantage pour le premier sur la seconde, si l’on en juge par les chiffres donnés par différents instituts spécialisés dans les sondages «sortie des urnes».
Ces résultats étaient très attendus parce que, au fil des enquêtes qui ont ponctué la campagne de la présidentielle française ces dernières semaines, l’écart s’était considérablement resserré entre pas moins de quatre candidats : Marine Le Pen (extrême droite), Emmanuel Macron (centre-gauche), Jean-Luc Mélenchon (gauche) et François Fillon (droite). Et toutes les hypothèses autour d’un duo mêlant ces quatre noms pour le second tour étaient devenues envisageables et matière à scénarios.
Le suspense a atteint un niveau particulièrement élevé alors qu’il était bas en début de campagne. C’est l’ascension spectaculaire de Mélenchon — crédité quant à lui de 19,5% des voix (Institut Ipsos) —, révélation de cet épisode électoral en raison peut-être de ses talents de tribun, qui a changé la donne. Mais la remontée progressive du candidat de droite, François Fillon, qui a su, lui, résister à l’offensive médiatico-juridique et rester en course a également été de la partie : la formidable série d’attaques qu’il a subies, sur fond d’accusations d’abus de biens publics, marquera sans aucun doute les annales de cette présidentielle 2017.
Rappelons qu’au jour d’aujourd’hui, il reste sous le coup d’une mise en examen... Le score qu’il a obtenu hier est de 19,5 % (Ipsos).
Toutefois, ces résultats préliminaires étaient également très attendus pour rendre leur verdict sur la crédibilité des sondages. Il règne un soupçon croissant autour des instituts de sondage, accusés de vouloir influencer les électeurs en faveur de tel ou tel candidat plutôt que d’informer en toute neutralité sur l’état des préférences. Le désaveu flagrant que ces instituts ont subi lors de la dernière élection américaine n’ont fait bien sûr que renforcer ce climat général de suspicion, avec l’aide bien entendu des candidats mal placés.
Ce qu’on peut dire aujourd’hui est que les sondages ont plutôt fait preuve de prudence, puisque l’avance dont ils ont régulièrement crédité le candidat Macron n’a pas du tout été démentie : au contraire, elle a été confortée, au-delà même des prévisions. Il est vrai que le resserrement des scores avant le scrutin a réduit la marge d’erreur, mais il est aussi indéniable que l’électeur français a eu droit à un quarté gagnant dans l’ordre pour ce premier tour, avec une petite hésitation sur le duo de tête, et que ce quarté s’est vérifié à la sortie des urnes.
Il existe enfin une troisième raison pour laquelle ces résultats étaient très attendus. Elle est liée à la proportion des électeurs indécis à la veille du vote. Cette proportion a été évaluée au quart des électeurs et ce niveau d’importance peut d’ailleurs expliquer en grande partie les écarts qui existent entre les pronostics et la réalité. Peut-être cette portion de l’électorat a-t-elle eu un rôle dans la progression soudaine de Macron, mais cette hypothèse ne s’impose pas de façon évidente puisque la proportion des abstentionnistes rejoint presque celle des indécis : autour de 23 % !
Le rendez-vous du second tour, comme chacun sait, est fixé au dimanche 7 mai. Quel que soit son résultat, on sait d’ores et déjà qu’il aura permis de tourner en France la page des anciens ténors : l’actuel président, François Hollande, s’est retiré de lui-même avant les primaires de la gauche, et Nicolas Sarkozy, qui aurait bien voulu revenir aux affaires, a raté son retour, largement battu lors de la primaire de la droite, dès le premier tour, par le couple François Fillon - Alain Juppé. Ce dernier, ancien Premier ministre sous Jacques Chirac (1995-1997), en qui beaucoup voyaient un favori au tout début de la campagne, a lui aussi fait les frais du jeu de la primaire.
Manuel Valls qui aurait pu, en tant que récent Premier ministre, se prévaloir d’une gestion moralement enracinée à gauche mais résolument pragmatique et non-idéologique, a lui aussi été écarté lors de la primaire de la gauche. Il n’y a guère que François Fillon qui faisait exception: il incarne l’ancienne génération du haut de ses 63 ans et de son long périple aux responsabilités en tant qu’homme politique de droite. Sa sortie par la petite porte risque de sonner l’heure de graves bouleversements dans le camp de la droite traditionnelle.
Les résultats actuels, qui n’ont retenu aucun des deux candidats sélectionnés par des primaires, vont avoir des retombées considérables. D’abord au niveau de la politique intérieure avec un effondrement probable des deux grands partis classiques : le Parti républicain, comme nous le disions à l’instant, mais aussi le Parti socialiste. Ensuite, au niveau extérieur, sur l’équilibre de l’Union européenne, dont la cohésion a été très fragilisée par une vague de contestations nationalistes et par la sortie du Royaume-Uni. On se demandait jusqu’à hier si ce premier tour allait accentuer cette tendance à la fragmentation ou amorcer au contraire un sursaut en faveur d’une relance du projet européen. On peut considérer désormais que le bon score de Macron est un message positif : le camp de la défiance à l’égard de l’Europe n’a pas reçu le soutien qu’il a pu espérer de ce scrutin.
Bien sûr, il faudra attendre le second tour pour voir se confirmer cette tendance. Une inconnue majeure va résider dans la capacité de Marine Le Pen à puiser dans un électorat au-delà de son réservoir naturel. Car il est évident qu’elle s’y emploie depuis longtemps, jonglant entre une rhétorique xénophobe chère à la base du Front national et un «patriotisme» plus inclusif par lequel elle entend séduire des électeurs qui, même à gauche, vivent mal les transformations de la société française et qui, sans haïr l’étranger, revendiquent plus ou moins ouvertement leur attachement à une certaine France qui fut celle de leurs parents.
Elle aura face à elle une politique d’union sacrée contre le «péril d’extrême droite», dont avait bénéficié Jacques Chirac en 2002 face au père de l’actuelle candidate du Front national et qui lui avait permis de rafler plus de 82 % des voix au second tour. Les premiers ralliements se sont d’ailleurs déclarés peu après l’annonce des premiers résultats…