S’il faut évoquer la période que vit actuellement l’Algérie, il ne serait pas anormal ni outrancier de la qualifier de temps du désarroi et de l’accablement. Pour celui qui vit à l’étranger et qui reste profondément attaché à sa terre natale, c’est la première chose qui vient à l’esprit quand il lit les nouvelles en provenance du pays.
On sait que le flux d’informations, d’où qu’il vienne, est rarement optimiste mais, dans le cas présent, on cherche en vain quelque chose d’optimiste à laquelle on pourrait se raccrocher. Pire, au-delà de l’habituelle litanie sur la vacuité de la scène politique et de la prégnance d’une bigoterie d’un autre âge, il y a des événements qui sidèrent.
Le sort des familles syriennes expulsées et reléguées dans le no man’s land aux frontières algérienne et marocain représente un scandale absolu, une insulte infligée aux valeurs humaines et civilisationnelles dont les Algériens s’enorgueillissent (et l’on se demande bien à quel titre ils le font aujourd’hui). Il y a quelques semaines, la diffusion d’un documentaire sur le passé progressiste et militant de l’Algérie a fait grand bruit et déclenché une vague de fierté nationale pour ne pas dire de chauvinisme (1).
Même si certains commentateurs ont rappelé que l’Algérie des années 1960 et 1970 n’était pas un havre de démocratie et de liberté, il n’en demeure pas moins que le pays, et ce fut à son honneur, a accueilli alors nombre de réfugiés et de révolutionnaires demandeurs d’asile. Citons, par exemple, les ressortissants chiliens chassés de chez eux par la sanglante répression du régime de Pinochet après le coup d’Etat contre le président Allende (11 septembre 1973).
Où est passé cet engagement ? Où est passé le devoir d’hospitalité dont nous nous prévalons quand nous donnons des leçons aux Européens, et notamment aux Français, qui refusent d’accueillir les réfugiés ayant traversé la Méditerranée au péril de leur vie.
En 2017, des hommes, des femmes et des enfants qui ont fuit une guerre civile terrible, se retrouvent dans la rocaille au milieu de nulle part, interdits d’installation dans un pays « frère » qui prétendait, jadis, incarner le combat pour la dignité des plus démunis. Ces Syriens, dont on n’a même pas à savoir s’ils sont pour Assad ou contre lui, sont les nouveaux Damnés de la Terre. Même le fait qu’ils soient arabes et musulmans ne compte pas. Ce n’est pas un argument qui mérite d’être retenu. Ce sont juste des êtres humains qui demandaient de l’aide à un pays qu’ils pensaient généreux.
Il faut rendre hommage aux associations algériennes, marocaines et tunisiennes, sans oublier celles qui activent en Europe, qui ont appelé à la solidarité avec ces réfugiés (2). Ces collectifs opiniâtres sauvent ce qui peut être sauvé dans ces temps de peu où l’honneur de leurs propres pays et sociétés fait tant défaut. Le 20 juin était la journée mondiale des réfugiés.
Le Maroc en a profité pour annoncer qu’il allait se pencher sur la situation de ces familles. La vile compétition entre deux régimes qui détruisent l’espérance maghrébine continue et, dans le cas présent, elle se fait sur le dos de pauvres gens qui ont tout perdu.
Evoquons maintenant une autre information qui a beaucoup été commentée sur les réseaux sociaux. On aurait pu d’ailleurs revenir sur la « caméra cachée » imaginée par des esprits dérangés pour piéger l’écrivain Rachid Boudjedra ou d’autres personnalités. Mais c’est la mort violente d’un enseignant qui retient notre attention. Karoui Serhan, professeur à l'université de Khemis Miliana a été assassiné, à coups de marteaux, le 18 juin dernier par deux « étudiants ».
Le mobile ? L’enseignant a empêché les deux mis en cause de tricher à un examen… Ce n’est pas le premier acte de violence que connaît l’université algérienne où la baltaguiya va et vient à sa guise, molestant enseignants et personnel administratif. Mais c’est la première fois, semble-t-il, qu’il y a mort d’homme.
La violence que l’on pensait circonscrite aux groupes armés, ou du moins à ce qu’il en reste, a gangréné la société. Comment pouvait-il en être autrement quand le savoir, la production intellectuelle, la transmission, sont à ce point dévalorisés par le pouvoir et ses représentants divers.
Quelle est la dernière fois où nous avons entendu (ou lu) un responsable politique ou économique disserter sur telle ou telle œuvre ? Quand on croise ces gens - comme lorsqu’ils assistent à une conférence internationale à l’étranger – on a l’impression désagréable d’être en face d’erreurs de casting.
De gens médiocres, imbus d’eux-mêmes, sûrs de leur bon droit et dont la mission est de débarrasser le pays de toute forme d’intelligence et de créativité. Au point que le présent chroniqueur fuit désormais ce genre d’événement pour ne pas subir l’intenable spectacle d’une honte, encore une autre, infligée à l’Algérie.
Addendum (24 juin 2017) : Bouclée avant que le scandale ne survienne, cette chronique aurait pu aussi évoquer la question du racisme de certains médias algériens à l’égard des migrants subsahariens en Algérie. Les crétins qui s’en prennent à nos frères, notamment Maliens, font honte à l’Algérie et aux Algériens. Ils souillent l’honneur de leur pays.
Notes
(1) « Alger, la Mecque des révolutionnaires », de Mohamed Ben Slama.
(2) Lire « Réfugiés syriens bloqués à la frontière algéro-marocaine : Nouvel appel d’associations maghrébines, syriennes et françaises », Maghreb Emergent, 20 juin 2017.