Bagnole, vélo et piéton

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Comment se fâcher avec des amis ? Les réponses à ces questions sont nombreuses. On peut, par exemple, dire tout le mal qu’on pense de Bachar Al Assad, ne rien lâcher à son sujet, et se prendre en retour une volée de bois vert au nom d’un anti-impérialisme à deux sous ou d’un conspirationnisme dont on n’avait pas pris conscience jusque-là.

On peut aussi amener la discussion sur Macron et ses vacuités intellectuelle, politique et éthique et se rendre compte que l’ami, un autre, pas le même que le pro-chabiha, fait partie des cohortes d’« enmarcheurs » alors qu’on pensait qu’il avait gardé quelques tendresses pour l’internationalisme et la dictature du prolétariat. Mais il est des sujets tout aussi clivants, du moins en apparence, même s’ils sont bien plus légers.

Parmi eux, il y a la question de la place du vélo dans Paris. Je sais, le thème est totalement décalé par rapport à une actualité des plus sombres. Mais offrons-nous, de temps à autre, quelques moments de légèreté voire de futilité. Ceci dit, l’affaire est sérieuse et elle peut provoquer de vraies colères et même des ruptures.

Elle concerne une « guerre » sans merci qui oppose adeptes de la petite reine aux automobilistes mais aussi, et c’est là où l’affaire se corse, aux piétons. Utiliser un vélo est une bonne manière d’échapper à la promiscuité malodorante du métro, à la lenteur chaotique des bus dont les conducteurs usent et abusent des freins, et, pour finir, aux embarras de Paris, comprendre une circulation dense, malaisée y compris – c’est un grand exploit de la mairie – le dimanche après-midi…

Mais pédaler sur le bitume c’est aussi risquer en permanence sa vie. Au-delà de son image de grand pôle touristique mondial, la capitale française est surtout une petite ville aux rues étroites. Desservi par la géométrie des lieux, le cycliste qui s’y aventure sait que les automobilistes, et plus encore les chauffeurs de bus ou de camionnettes de livraison, ne lui feront aucun cadeau. Il sera tassé, délibérément bloqué, frôlé, tangenté, parfois tabassé ou, du moins, copieusement insulté, et même blessé, voire pire. Comme le rappelle un blogueur, « entre janvier 2010 et octobre 2016, 18 cyclistes ont perdu la vie à Paris. Dans 8 cas, un poids-lourd (camion ou autocar) fut impliqué. Six de ces huit morts firent l’objet d’articles dans la presse. Pour les 12 autres : rien. Biais médiatique énorme. » Militant de la cause vélocipédique, Emmanuel, c’est par ce seul prénom que se présente le dit blogueur, oublie de mentionner que le nombre de piétons écrasés ou percutés est pratiquement égal au triple de la triste statistique qu’il cite.

Pour échapper aux dangers de la circulation, un nombre croissant de cyclistes se réfugie sur les trottoirs. Au risque de percuter des piétons qui se croyaient à l’abri.

Habitude héritée de son vécu algérois et du refus de dépendre des fantomatiques bus de la Régie Syndicale des Transports Algérois (RSTA, devenue Entreprise de Transports Urbains et Suburbains d’Alger avec pour slogan « Etusa partout, Etusa pour tous »…), le présent chroniqueur est un marcheur acharné (et non un « enmarcheur » encarté, tient-il à le repréciser). Il peut citer des dizaines d’exemples de cycliste roulant à vive allure sur un trottoir, persuadé en bon abruti qu’il est (ou qu’elle est) de son bon droit de sauveur (sauveuse) de la planète. On avait déjà le ridicule des bobos, hommes et femmes, à trottinette, il faut désormais garder à l’œil les cousins de Richard Virenque (vous savez, le coureur jadis dopé à « l’insu de son plein gré »…)

Le pire, pour le piéton, c’est lorsqu’il s’aventure sur une voie cycliste. Insultes, regards noirs, et menaces du pédaleur ou de la pédaleuse qui s’écartent au dernier moment, histoire d’infliger une belle frayeur au bipède distrait. Pourtant, la loi est claire. Les voies cyclistes sur trottoir ne sont pas interdites aux piétons.

Plus important encore, l’usager le plus faible est toujours considéré comme prioritaire. Face à un piéton, le cycliste doit donc s’arrêter, s’incliner (et la fermer). Et dans une rue piétonne, le cycliste est aussi censé rouler au pas ou mettre pied à terre. Mais, cela, c’est la théorie et la contribution décisive à la diminution des émissions carbone donne tous les droits…

Entre piétons et cyclistes, il y a aussi une lutte implicite pour garder le privilège du droit à faire n’importe quoi. Jusque-là, les premiers se distinguaient par une indiscipline chronique comme, par exemple, traverser au dernier moment et en dehors du passage protégé ou lorsque le feu est vert (afin de faire enrager l’automobiliste). Mais voilà que les seconds s’y mettent aussi. Ils grillent les feux rouges, roulent sans casque et la loi leur permet même de prendre les sens interdits.

Il y a quelques temps, un ami me confiait l’étrange sentiment de colère qu’il éprouvait au spectacle d’un couple de cyclistes ne respectant pas le feu rouge. Il était loin d’eux mais cette désinvolture mouvante l’avait exaspéré. Tout comme m’irrite le spectacle de ces hommes et femmes à la pédalée incertaine ou visiblement novice. Vélos qui tanguent, selles trop basses, jambes écartées qui moulinent sans grâce dans les côtes : cette vulgarité visuelle ajoute un peu de laideur supplémentaire à la ville.

Cette guéguerre n’existerait pas si les voitures étaient moins nombreuses à Paris. C’est ce que cherche à obtenir la mairie qui multiplie les mesures pour décourager les automobilistes à l’image de ces quartiers où la multiplication des sens interdits peut rendre fou le conducteur qui s’y aventure pour la première fois.

Mais le problème est bien plus complexe. En matière de transports urbains, l’Ile de France est une région sous-développée. Quand on habite en banlieue plus ou moins lointaine, la meilleure manière d’aller à Paris reste la voiture. Autrement dit, la bagnole continuera de rouler vite dans les rues de la capitale et les sauveurs et sauveuses de la planète feront payer aux piétons les tracas qu’eux-mêmes subissent.

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