« Vous ne savez que parler alors que c’est DIRE qu’il faudrait » Jacques Viallebesset
Le proverbe soutient que l’homme sage se tait. Dans la paix de son courtil perdu au cœur des Monts, le campagnard s’interroge cependant. Dire ou ne pas dire ? Mais se taire n’est-il pas déjà dire ?
Ainsi, en vertu du dicton populaire qui affirme que "qui ne dit mot consent", certains élus considèrent que les électeurs qui se sont abstenus de voter lors des dernières élections leur ont, par leur silence, accordé un blanc-seing. C’est sans aucun doute sauter un peu vite à la conclusion.
Ces abstentionnistes ne se sont peut-être tus que pour aller à la pêche, se dorer sur le sable, lire le dernier Michel Onfray, écouter Mozart ou simplement fantasmer à des lendemains qui chantent. C’est certes faire preuve de grande sagesse que d’aimer la quiétude du bord de l’eau, l’immensité de la mer et les rêves à des jours meilleurs. Mais cette sagesse ne pourrait-elle pas s’assimiler en l’occurrence à une forme de fuite face à un dilemme.
On voit par-là que si le silence est d’or, comme l’écrivait le philosophe, il n’en reste pas moins difficile à conduire au quotidien. Doit-on ainsi ignorer le salut du facteur qui glisse dans la boite aux lettres les factures du percepteur sans passer pour un malappris ? Peut-on "rester de marbre" face au sourire de l’accorte boulangère sans frôler la muflerie ? Peut-on mépriser le regard mouillé de la mendiante assise sur le trottoir devant la boulangerie sans éprouver la plus mince empathie pour plus pauvre que soi ? Faut-il subir bouche bée les discours en langue de bois des innombrables prédicateurs télévisés sans craindre d’y perdre son entendement ?
Car, souvent, ces beaux parleurs ne s’égarent dans les méandres labyrinthiques de leurs logorrhées que pour mieux en meubler le vide assourdissant. Les grands principes de transparence qui animent aujourd’hui nos sociétés peuvent-ils aider à choisir une attitude ? Hélas, ils conduisent inexorablement à dire la vérité ou ce que l’on en croit et tous les secrets ne méritent peut-être pas d’être jetés dans la lumière crue d’une conversation fut-elle amicale !
Ne vaudrait-il pas mieux respecter le fameux principe de précaution ? Se tenir ainsi éloigné des journaux où des journalistes dits d’investigation dévoilent avec gourmandise des turpitudes précisément inavouables, préférer les émissions de télévision dites de "télé-réalité" minutieusement scénarisées aux débats de haute volée philosophique sur des sujets d’actualité et ne porter toute son attention que sur les quarts d’heures de publicité qui encadrent les documentaires animaliers pour ne s’imprégner que de l’air du temps.
On éviterait ainsi d’avoir un avis sur tout et n’importe quoi au risque d’être conduit à le proférer sans discernement. En un mot, allier la circonspection à la vigilance et faire en sorte que l’abstinence verbale ne soit pas seulement le fruit d’une saine et franche humilité mais découle naturellement d’une insignifiance digne d’un trou noir jupitérien.
En tout état de cause et nonobstant son éloignement au fond de sa vallée, il va sans dire que le vieux bougon ne saurait se laisser intimider par toutes ces arguties aux subtilités casuistiques échevelées. Il poursuivra ses malicieuses chroniques campagnardes nées de ses conversations avec les arbres de son courtil, les mésanges et les merles qui en peuplent les buissons et les petites fleurs des champs qui lui laissent toujours tant de choses à penser.