Les raisins de la colère…

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La violence à laquelle l’Occident est confronté est-elle seulement « idéologique » et « religieuse » ? Prend-on toujours le temps de faire la différence essentielle entre sectarisme religieux et contre-violence politique, même si l’un et l’autre se conjuguent parfois, sans pour autant se confondre ?

Si condamnable qu’elle puisse être, la théologie de guerre, élaborée sous la torture nassérienne par Sayyid Qutb, est-elle véritablement la « cause » de la radicalisation islamiste ou seulement le vocabulaire d’une révolte dont les motivations seraient singulièrement plus profanes ?

Les puissances occidentales se disent aujourd’hui « agressées dans leurs valeurs » par la « haine de la démocratie et de la liberté » qui animerait leurs agresseurs au fur et à mesure que ceux-ci « basculeraient dans l’islam radical ». Mais la révolte anti-occidentale apparaît bien plutôt comme une réponse relativement prévisible à l’unilatéralisme, l’égoïsme et l’iniquité de politiques conduites, directement ou par dictateurs interposés, dans toute une région du monde.

À la tête de l’« Occident impérial » – où ils ont rejoint puis dépassé l’Europe coloniale et la Russie –, les États-Unis récoltent aujourd’hui les fruits amers des politiques parfaitement irresponsables qu’ils conduisent depuis plusieurs décennies dans le tiers monde en général et dans le monde musulman en particulier : dans ces pays, les milliers de victimes de ces politiques, tout aussi innocentes que celles du World Trade Center, et le maintien depuis des décennies de dictatures liberticides ont nourri dans les populations un sentiment de désespoir, propice aux formes de révolte les plus extrêmes.

Au-delà de la question d’une violence « islamiste », on voit bien que ce qui est en jeu, c’est la difficulté à admettre la très banale résurgence du lexique politique islamique dans les sociétés de culture musulmane et le fait qu’une culture non-occidentale prétende grignoter le vieux monopole occidental d’expression de l’universel. Entre les « intellectuels négatifs » dénoncés hier en France par Pierre Bourdieu pour leur implication dans les plus basses œuvres de la junte algérienne et les « intellectuels écrans » du Sud qui masquent aujourd’hui au public occidental – qu’ils veulent séduire ou instrumentaliser – la réalité des sociétés dont ils se prétendent les seuls ambassadeurs, la médiation scientifique du monde de l’Autre est-elle encore en mesure de jouer son rôle ?

Depuis le début des années 2000, la communauté internationale – dominée de fait par l’hyperpuissance américaine – prétend promouvoir dans le monde arabe des réformes « culturelles » et « éducatives » dont on peut légitimement se demander si elles ne servent pas plus à criminaliser les manifestations de la résistance à ses propres dysfonctionnements qu’à trouver une solution réaliste et équitable à ces derniers.

Face aux déséquilibres de l’ordre du monde, la tentation de criminaliser toute introspection critique est-elle vraiment la meilleure des solutions pour prévenir la confrontation ?

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