Philosophie et psychanalyse /// La folie dans la sagesse des anciens

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Selon une ancienne classification qui remonte au français Philippe Pinel (1745-1826), on distingue dans les maladies mentales une diversité de signes cliniques, qui correspondent à des niveaux de gravité en termes de perte de communication avec l'extérieur. Ainsi allons-nous de la mélancolie à l'idiotisme, en passant par ce qui est appelé la manie et la démence.

La psychopathologie moderne reprendra cette classification en fonction de nouveaux critères et en introduisant de nouvelles dénominations, en particulier le couple névrose-psychose…

Mais ces considérations relèvent des spécialistes soignants et n'entrent pas vraiment dans notre propos... Ce que nous voudrions retenir, c'est tout simplement la possibilité de la défaillance de la conscience chez l'homme. Cette défaillance est elle-même le lieu d'une faille dont l'ouverture va engager un travail d'interprétation. L'effort de guérison repose essentiellement sur ce travail, où la confusion au sein de l'individu énerve le besoin de donner du sens, pique au vif la vocation de l'homme à déchiffrer ce qui semble indéchiffrable.

Depuis la nuit des temps, l'art de guérir, avec ses procédés magiques, agit de la sorte : il tente de distinguer dans le langage du fou un message qui ne serait inintelligible que parce qu'il serait d'origine divine. Le défaut de sens cacherait un excès de sens, un trop-plein que la conscience ordinaire des hommes serait incapable de saisir : il y faut un art éprouvé, la faculté de pénétrer ce qui est obscur pour en dégager, comme en son écrin, l'éclat de ce qui frappe l'intelligence.

Le fou, c'est l'étranger parmi nous, mais aussi l'étranger en nous, dont le langage n'arrête de nous parler que pour cette raison qu'une puissance supérieure parle à travers lui et que nous ne comprenons pas : le défaut est dans notre compréhension, non dans le message qui nous parvient.

L'approche ancienne de la folie part du principe d'une possession. Le fou est un possédé. La délivrance, de son côté, ne consiste pas tant à lever l'état de possession qu'à le transformer, de telle sorte que le possédé, parlant son langage incompréhensible pour le commun des mortels, assume son appartenance à la communauté linguistique des immortels. Sa solitude est brisée, au moment où il se reconnaît, dans le regard de son guérisseur, et au-delà dans celui de tout le village, en tant que membre d'une société supérieure, dont il est comme l'envoyé.

Tant qu'il était enfermé dans sa solitude, il était livré, comme on dit encore aujourd'hui, à ses démons… C'est la face tragique de la folie : celle d'Oreste, qui sombre dans la nuit après avoir commis l'irréparable, le meurtre, sur la personne de sa propre mère. Il faut une faute - celle de l'hybris - pour passer d'abord du langage des hommes au non-langage, au langage qui n'est plus que son propre simulacre et qui fait quitter au fou le territoire de l'humanité. Et il faut un travail d'interprétation pour faire jaillir du sens dans la nuit du sens. Or cette remontée à la lumière est elle-même rédemption : le jaillissement du sens est dans le même mouvement réparation de la faute et sortie de l'état d'exil, selon un processus miraculeux et salutaire sur lequel on aura sans doute l'occasion de revenir.

Bien sûr, la rédemption ne saurait être ici retour à la case départ de la société ordinaire des hommes : le fou délivré parle désormais le langage des dieux, en toute reconnaissance et de plein droit ! Tel est son destin et telle est la volonté des dieux, qu'il appartient aux humains de respecter. Mais voilà : il vit ! Il vit à nouveau, comme messager entre le domaine des dieux et celui des hommes !

Ce détour par les anciens nous montre que la sagesse de nos ancêtres a toujours su comprendre que pour délivrer le fou, il fallait d'abord le faire passer d'une possession dissociante à une possession communiante, d'une possession débilitante à une possession fortifiante, d'une possession fossoyeuse de sens à une possession chargée et génératrice de sens. Ce qui ne saurait se réaliser sans la puissance d'interprétation du guérisseur.

En un sens, la psychanalyse a également le même souci de briser la solitude du malade et de lui offrir une communauté susceptible de l'accueillir… Lorsqu'elle affirme d'une part que toute maladie mentale repose sur des désirs refoulés et, d'autre part, que la société bourgeoise - judéo-chrétienne, diraient certains - repose de son côté sur une morale qui provoque le refoulement des désirs humains, elle offre au patient la possibilité de faire cause commune avec son médecin contre l'hypocrisie de cette société pathogène.

Le transfert n'est alors qu'une façon de rétablir en acte le droit de cité du désir - désir désormais reconnu - dans le cadre de cette alliance nouée contre la morale castratrice de la société et de ses valeurs établies. Un tel "asile" n'est pas divin, mais il est amical et permet aussi au malade de prendre ce qui paraît en tout cas être une juste revanche contre la violence de la société qui s'acharne à nier en nous le désir.

En quoi maintenant l'offre de la psychanalyse peut-elle être considérée comme meilleure, ou au contraire moins bonne, que celle que proposait l'ancienne sagesse ? Et, de façon plus pertinente, en quoi la confrontation de ces deux approches peut-elle nous renseigner sur ce que veut dire guérir quand il s'agit de folie, ou de toute défaillance de la conscience ? C'est ce que nous essaierons de voir ultérieurement.

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