Ana…chroniques Souvenirs des dernières années du vingtième siècle et un peu au-delà.

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La dernière publication de Gilbert Naccache se présente sous le titre : Ana… chroniques. Le sous-titre : Souvenirs des dernières années du vingtième siècle et un peu au-delà[1] circonscrit mieux l’orientation de cette quatrième partie des mémoires de Gilbert Naccache.

Dans Ana…chroniques, Il pleut des avions, Cristal et Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? (Itinéraire d’un opposant au régime de Bourguiba (1954-1979), suivi de Récits de prison, Gilbert Naccache écrit pour raconter aux lecteurs ce qui a été comme atmosphère, comme évènement, comme situation des uns et des autres (dont celle du témoin) dans un cadre historique – notamment celui de la Tunisie des années 1940-2000 , avec les hauts et les bas de son devenir politique, social, communautaire, culturel, etc.

La structure du témoignage illustre cette perspective. Ana… chroniques se découpe en seize parties. 1)Libre, 2)La situation dans le pays,3)Écriture, 4)Les Éditions Salammbô, 5)Théâtre et cinéma, 6)De la linguistique à ses implications, 7)De Bourguiba à Ben Ali, 8)Le séminaire d’Aix-en-Provence, 9)La nature des États "socialistes", 10)Journaux et liberté de presse, 11)Nouvelles possibilités de publication, 12)Première réflexion sur le rôle du suffrage Universel,13)Les agressions racistes et la presse, 14)La culpabilité, 15)La vie quotidienne, 16)Les premières années du siècle. Un avant-propos et une conclusion permettent au lecteur de reconstituer le puzzle d’une mémoire éclatée.

Fort d’une démarche de pensée dialectique, le témoin met en relation, en tension des données politiques factuelles de grande portée pour l’histoire contemporaine tunisienne telles que « le 26 janvier 1980 », « les opposants de gauche après 1980 », « les émeutes du pain de janvier 1984 », « l’escalade dans la répression », « le choix de Ben Ali », « le 7 novembre 1987 », « les débuts de la nouvelle ère ».

Mais il ne s’agit pas là d’une simple narration des faits. Gilbert Naccache ne cesse pas de s’interroger sur sa propre posture d’acteur et d’intellectuel qui cherche à comprendre et expliquer le concret réel dans sa richesse et sa complexité mouvante accompagne son récit, doublant ainsi le discours de témoignage d’un métadiscours éthique.

L’écriture des mémoires chez Gilbert Naccache est forcément, connectée à un idéal humain, sinon elle n’existerait pas. Pour critiquer, il faut un point de vue. Et ce point de vue, que serait-il, sinon l’idée, aussi générique et généreuse d’une Tunisie et d’une condition humaine meilleures. Sans doute « le travail d’observateur critique de la vie », le désir de « transmettre aux autres son expérience, les résultats de ses analyses, mais surtout la méthode qui permet [à Gilbert Naccahe] aujourd’hui d’être plus confiant que jamais dans l’avenir : la critique de la théorie par la réalité et celle de la réalité par la théorie », sont-ils de nature à conduire le lecteur à mieux comprendre les mouvements, les enjeux, les possibilités culturels et politiques dont, lecteurs, citoyens, nous devenons soit spectateurs soit acteurs et témoins à notre tour.

Le témoin « peut tenter de dire ce qu’il a vécu, de comprendre ce qui a eu lieu, de se comprendre dans cet évènement, mais sa parole est témoignante dans la mesure où il est débordé par ce qu’il doit dire et dans la mesure où il ne peut pas instaurer un rapport de sujet à objet avec ce dont il témoigne, rapport qui lui permettrait de faire la part entre ce qui relève de l’événement lui-même et ce qui relève de sa subjectivité [2]».

La critique, comme dimension essentielle de toute mémoire critique, nous situe alors bien en deçà ou bien au-delà de cette confusion, si dommageable, entre l’idéal humain d’un plus grand accomplissement de soi et l’adhésion, qui se veut critique, à telle ou telle idéologie politique ou sociale qui prétend l’incarner.

Dans Ana …chroniques, la pensée critique avance par négations. Négation de ce dont le narrateur se croyait assuré. Négation aussi des conceptions implicites occupant la place de connaissances véritables. Le propre de la pédagogie de la mémoire, « c’est de complexifier le réel, non le simplifier », selon les mots de Jacques Revel.

Ana …chroniques seraient ainsi partie prenante d’une éducation fondamentale à la réflexion, notamment par leur capacité à générer des questions et à cultiver chez le lecteur l’aptitude à « re-garder tout ce qui est possible. Plusieurs passions, toutes les passions, toutes les amours, toutes les rencontres, tous les amis, toutes les directions de réflexion, les avancées vers un peu de lumière… », écrit Gilbert Naccache.


Notes :

[1] Chama Éditions, Tunis, 2017, 298 pages

[2] Cf. Housset Emmanuel, « L’objet du témoignage », in Philosophie n°88, 4, 2005, p.145-158.

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