On peut parler de deux démocratisations. L'une s'est faite et l'autre ne s'est pas faite. Sur le plan formel des institutions, il y a bien eu démocratisation, renouvellement du Parlement, premières élections libres et constitution véritablement démocratique.
En revanche, en termes de dignité sociale et de justice sociale, les effets de la révolution se sont fait beaucoup moins sentir. On peut dire qu'à ce niveau la démocratisation reste toute relative.
C'est une déception par rapport à une revendication majeure de la révolution qui était la dignité et la justice sociales, même si la situation économique et sociale n'était pas du tout bonne au moment où Ben Ali a quitté le pouvoir. Une grande partie des régions de l'intérieur de la Tunisie et des périphéries des grandes villes n'ont pas eu les fruits de cette révolution. Il n'y a pas eu de révolution dans la redistribution des revenus et pour ces jeunes qui restent au chômage.
Après la révolution, la Tunisie est apparue comme une zone d'incertitudes et un certain nombre d'investisseurs ont retiré leurs billes. La Tunisie est devenue instable, ce qui n'était pas un bon indicateur pour les entrepreneurs économiques.
La Tunisie a payé très fort le prix du terrorisme avec pour conséquence la chute du tourisme. Et puis, les méthodes économiques qu'on impose à la Tunisie sont les mêmes qu'avant Ben Ali. On oblige la Tunisie à appliquer des plans de réforme.
Il y a une contradiction des partenaires internationaux qui demandent à la Tunisie de faire une politique de restructuration, de privatisation forcenées qui est en contradiction avec les idéaux de justice sociale et d'égalité qui étaient portés par cette révolution tunisienne. De ce point de vue, les marges du gouvernement tunisien sont très faibles.
Il y a un volontarisme des gouvernements tunisiens depuis 2011 et on ne peut pas le nier. On ne peut pas dire qu'ils ne font rien, mais on reste dans une certaine forme de paternalisme d'État.
Les gens ont besoin d'être reconnus dans leur dignité sociale et pas seulement d'avoir des petites réformes qui s'inscrivent toujours dans cette continuité de ce qu'on pourrait appeler le clientélisme d'Etat qui avait caractérisé la période autoritaire.
De ce point de vue-là, le logiciel du gouvernement pour répondre à ces mouvements protestataires n'a pas vraiment changé. Il peut donc avoir une radicalisation de la rue. Il ne peut pas y avoir un retour à la dictature, elle est bien finie.
En revanche, on pourrait avoir comme réponse des futurs gouvernements tunisiens un durcissement sur le plan sécuritaire, une certaine fermeture démocratique, une forme d'autoritarisme, une démocratie un peu plus autoritaire pour faire face à la rue. C'est une hypothèse qu'on ne peut pas exclure pour les prochaines semaines ou les prochains mois en Tunisie.