La coalition au pouvoir devra mener les réformes qu’elle avait promises, mettre en place la Cour constitutionnelle et organiser des élections municipales, déjà reportées à de nombreuses reprises, si elle veut que la transition tunisienne reste l’exemple d’une transition réussie dans le monde arabe.
Que se passe-t-il ?
A l’approche du septième anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne de 2011, le pays tend à retomber dans ses anciens travers autoritaires, en raison notamment du manque de volonté politique des deux partis pivots de la coalition au pouvoir (nationaliste et islamiste) à mettre en œuvre la Constitution de janvier 2014 de manière effective.
En quoi est-ce significatif ?
Cette dérive autoritaire s’explique en partie par la nostalgie du régime de Ben Ali. La Tunisie se doit d’endiguer cette dérive, à la fois pour éviter de nouvelles violences jihadistes ou un retour de la polarisation politique, et pour poursuivre sa trajectoire démocratique exemplaire entamée depuis les vagues de protestations de 2011 dans le monde arabe.
Comment agir?
De manière à prévenir d’éventuelles violences, les décideurs politiques tunisiens doivent s’engager à renforcer les institutions, en allant de l’avant et non en tentant de revenir en arrière. Ils doivent rapidement mettre en place la Cour constitutionnelle, les instances constitutionnelles indépendantes et organiser les élections municipales de 2018, déjà reportées à de nombreuses reprises.
Synthèse
Les efforts obstinés menés pour maintenir la coalition parlementaire et gouvernementale entre Nidaa Tounes (nationaliste) et An-Nahda (islamiste) retardent la mise en œuvre effective de la Constitution de janvier 2014 et fragilisent les institutions.
Dans un contexte de marasme économique, la nostalgie d’un Etat fort, à l’image de celui que l’ancien régime prétendait défendre, se répand. Mais pour renforcer cet Etat et faire face aux évènements imprévus, tels que de nouvelles attaques jihadistes d’ampleur, des émeutes incontrôlables ou la vacance provisoire ou définitive de la présidence de la République, le pays est contraint de consolider ses institutions en respectant et en mettant en œuvre sa Constitution.
En effet, la dérive autoritaire actuelle a peu de chances d’aboutir à l’établissement d’un régime comparable à celui de Ben Ali : les divisions politiques et socioéconomiques sont nombreuses et la liberté de ton s’est installée dans les médias au cours des sept dernières années.
Les tentatives visant à restaurer un climat de peur parmi la population s’opposeraient à de fortes résistances. La gouvernance n’en sera pas plus efficace et les conflits étouffés finiraient par ressurgir de manière plus violente.
Depuis les élections législatives et présidentielles de fin 2014, la coalition parlementaire et gouvernementale emmenée par Nida Tounes et An-Nahda a permis de diminuer fortement la polarisation de la scène politique. Mais les défis que ces deux partis pivots doivent relever afin d’entretenir leur alliance sont nombreux. Anciens ennemis désormais partenaires, ils éprouvent des difficultés à conserver leur identité politique et leur cohésion interne.
Ils entrent en conflit dès que leur pouvoir de négociation respectif au sein de l’alliance s’accroit ou s’affaiblit de manière notable. Les vives tensions qui en résultent, avec pour toile de fond leur manque de confiance mutuelle, contribuent à renvoyer sine die les réformes prévues par la Constitution : mise en place de la Cour constitutionnelle, des instances constitutionnelles indépendantes et des conseils régionaux élus et accroissement de l’autonomie du parlement.
A l’inverse, lorsque l’alliance est au beau fixe, Nidaa Tounes et An-Nahda tentent de structurer la vie politique comme un duopole au détriment de l’autonomie du parlement et des instances administratives indépendantes existantes.
Rached Ghannouchi, le président d’An-Nahda, et Béji Caïd Essebsi, le chef de l’Etat, fondateur de Nidaa Tounes, qui continue à jouer le rôle occasionnel de dirigeant de ce parti, personnalisent les canaux de discussion politique et de gestion de crise. Quant à Essebsi en particulier, il présidentialise le régime et légitime les voix qui appellent à amender la Constitution de 2014 afin d’élargir ses prérogatives.
Pendant ce temps, des éléments clés de la Constitution de 2014 tardent à être mis en œuvre. La Cour constitutionnelle dont le rôle est fondamental en cas de crise politique et institutionnelle, n’est toujours pas en place.
Les instances constitutionnelles indépendantes incarnant les principes d’intégrité, d’impartialité et de neutralité, considérés dans le sillage du soulèvement de 2010-2011 comme un antidote aux maux de l’administration publique, sont absentes, et les instances administratives indépendantes en exercice manquent d’autonomie.
Les élections municipales susceptibles de mettre à l’épreuve la coalition (score potentiel des deux partis dominants, taux d’abstention, émergence possible de nouvelles forces politiques) et de multiplier de manière significative le nombre de représentants élus ont été reportées à quatre reprises.
Le processus de décentralisation s’enlise. Il devrait se traduire notamment par l’élection de conseils régionaux, mais suscite les craintes de nombreux responsables politiques et hauts fonctionnaires qui considèrent qu’il affaiblira le pouvoir central.
Alors que l’écart se creuse entre les principes constitutionnels et la réalité du jeu politique actuel, entamer un débat sur la révision de la Constitution, comme l’a évoqué le chef de l’Etat avec le soutien de plusieurs figures politiques, reviendrait à rouvrir les hostilités, et ce dans un contexte national et international où les défenseurs des régimes autoritaires ont le vent en poupe.
Si le parti islamiste, première formation représentée au parlement, s’opposait à tout amendement constitutionnel qui remettrait en cause le caractère parlementaire du régime, une polarisation plus violente que celle que la Tunisie a connue en 2013 pourrait renaitre.
S’il l’acceptait, une nouvelle concentration du pouvoir aux mains de la présidence de la République pourrait durcir le régime de manière significative et apporter plus de problèmes que de solutions. Il convient donc d’éviter d’ouvrir cette boite de pandore.
La Tunisie entre dans une période d’incertitude électorale – scrutin municipal censé se tenir en 2018 et scrutins législatif et présidentiel en 2019. La coalition actuelle, qui peut théoriquement céder la place à une nouvelle majorité, devrait accélérer les réformes prévues par la Constitution tout en renforçant les conditions d’une alternance politique pacifique. Il demeure ainsi prioritaire :
* d’organiser les élections municipales en 2018 et, dans l’immédiat, d’assurer le bon fonctionnement de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) chargée d’organiser ces élections, tout comme les élections législatives et présidentielles en 2019 ;
* de mettre en place la Cour constitutionnelle dans les plus brefs délais ;
* de créer les instances constitutionnelles indépendantes sans les vider de leur contenu ;
* et d’accroitre l’autonomie financière et administrative du parlement.