Riches, pauvres.

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Portée par un glacial vent de borée, la sonnerie des cloches de l’église annonce à travers la vallée les obsèques de la vieille Angèle. Chacun au village connaît sa démarche hésitante due à son grand âge, le lacis de rides qui labourait son visage, sa petite voix pointue et ses yeux pétillants de malice. Emmitouflés dans leur écharpe et leur manteau d’hiver, proches, voisins et amis montent le parvis d’un pas lourd et déjà recueilli. Les conversations se donneront libre cours à la sortie du cimetière après un dernier hommage devant sa tombe.

Dans son discours d’adieu, le maire y retrace en effet sa longue vie faite de labeur et de discrétion. Il rappelle sa tendresse envers les enfants qui le lui rendaient bien, son sourire toujours bienveillant envers les plus fragiles et surtout sa disponibilité auprès de celles et ceux qui, comme elle, avaient été frappés par les deuils et les chagrins.

Il va aborder sa péroraison alors que volent quelques flocons de neige lorsqu’il révèle soudain à la surprise générale qu’elle a fait don à la commune non seulement de sa maison devenue trop vaste pour elle depuis si longtemps mais aussi et surtout d’une coquette somme en assurance-vie accumulée pas à pas au fil des années. La parole se libère alors sans retenue. Qui l’eut cru ? Elle était riche et nous ne le savions pas !

Mais qu’est-ce qu’être riche ? À partir de quelle somme devient-on riche ? Qu’est-ce que la richesse ? Les riches de par le monde deviennent de plus en plus nombreux et de plus en plus riches mais que signifie cette richesse ? De quoi est-elle composée ? À quoi sert-elle ? Qu’en fait-on ? On peut essayer de supprimer les riches.

Le communisme s’y est essayé en décrétant l’égalité pour tous mais certains restaient malgré tout plus égaux que d’autres et le système a fait faillite. Était-ce dû au capitalisme comme disent les uns, au libéralisme comme disent les autres ou simplement à la nature humaine ? Les pauvres sont-ils moins pauvres lorsque les riches sont moins riches ? Et si la richesse résidait moins dans la possession que dans l’usage ? Car riches et pauvres naviguent tous dans le même bateau, fragile et dérisoire comme ces coquilles de noix qui traversent la mer et risquent à tout moment de chavirer et de couler.

Riches et pauvres vivent tous sur la même planète qui risque à plus ou moins long terme de devenir invivable à cause du gaspillage des riches et de la nécessité de survivre des pauvres. Qu’importe alors d’être riche ou pauvre si la fin est la même pour tous ? L’important ne serait-il pas de pouvoir vivre dignement sinon heureux ? Mais est-on plus heureux riche que pauvre ? Mange-t-on plus ? Dort-on plus ? Est-on plus ou moins victime d’un cancer selon que l’on est riche et célèbre ou pauvre et anonyme ? Même si la maladie est toujours plus dure pour les pauvres !

Et si la richesse ne se comptait pas en nombre de billets de banque, d’actions, de lingots d’or, de villas somptueuses et de vêtements de luxe mais en amitiés, en amours, en culture ?

Cent et mille interrogations qui traversent le village de part en part jusqu’aux hameaux les plus reculés tandis que chacun s’empresse de retrouver la chaleur de son foyer. Cent et mille interrogations qui animent la controverse à la boulangerie, bouleversent les certitudes au bureau de tabac-presse, s’enroulent autour des ordonnances à la pharmacie.

Cent et mille interrogations qui ne trouveront pas de réponse évidente, simple et définitive. Sinon, comme l’a pratiqué Angèle, que la vraie richesse se trouve peut-être d’abord dans le partage.

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