Mennel ou le racisme islamophobe à la française

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C’est en pleine affaire Ramadan qu’éclate un autre cas, celui de la jeune et lumineuse chanteuse Mennel Ibtissem, quasiment la seule musulmane voilée de tout le PAF (ce qui en dit déjà long sur l’atmosphère culturelle envers les musulmans).

Après avoir fait un malheur sur le show télé « The Voice », elle se voit cependant en l’espace de quelques jours forcée de se retirer de la compétition (qu’elle avait toutes les chances de gagner), suite à la publication par des internautes de la « fachosphère » raciste et islamophobe de deux ou trois tweets au contenu vaguement « complotiste », dont l’un, composé après l’attaque de Nice du 14 juillet 2016, disait que le gouvernement était « les vrais terroristes ».

Malgré des excuses publiques, sa reconnaissance que ces tweets étaient inappropriés vu les circonstances et son absence évidente de toute intention maligne, rien n’y fait, et la « polémique » ne fait qu’enfler, jusqu’à son départ, forcé par cette véritable et incendiaire campagne de haine et diffamation où l’on accuse carrément la jeune fille de soutenir le terrorisme, d’être une « islamiste » et une apprentie-djihadiste.

Quelques remarques pour relier ces deux affaires malgré leurs différences évidentes.

D’abord, comme pour Ramadan, la campagne contre la jeune artiste témoigne d’un deux poids deux mesures, d’une hypocrisie générale et d’un acharnement hautement sélectif contre toute figure un peu trop visiblement, « ostensiblement » comme on dit en France, musulmane dès lors que celle-ci prend un peu trop d’ampleur médiatique et culturelle et s’avère difficile voire impossible à contrôler, à utiliser, à récupérer et instrumentaliser par le système politico-médiatique.

Ce deux poids deux mesure est facile à démontrer : Mennel est bel et bien la seule et unique candidate de « The Voice » dont on a épluché les comptes Tweeter, Facebook et autres pour y chercher des squelettes dans le placard afin de les exhiber publiquement pour flinguer la chanteuse si visiblement et fièrement musulmane. Jamais on n’avait fait cela pour les autres

De plus, comme le rappelle Daniel Schneidermann, une quantité impressionnante d’autres personnalités du monde du spectacle, dont des célébrités comme l’acteur-réalisateur Mathieu Kassovitz, l’actrice-phare du cinéma français Marion Cotillard ou l’humoriste Bigard ont tous eux aussi proféré, souvent publiquement, des propos complotistes sur les gouvernements et le terrorisme, de façon bien pire et plus explicite que les deux malheureux tweets de Mennel, et ce sans que jamais cela ne nuise à leur carrière et popularité et encore moins ne provoque de campagnes visant à les interdire d’antenne.

D’autres, comme le polémiste islamophobe Eric Zemmour, ont même carrément été condamnés à plusieurs reprises pour incitation à la haine (dans son cas contre les musulmans, bien évidemment) sans que cela ne nuise à leur carrière. Si Mennel a été forcée de quitter le show à regret alors qu’elle était en pleine ascension, Zemmour, lui, reste entre autre éditorialiste au Figaro, l’un des trois principaux quotidiens nationaux, malgré ses condamnations judiciaires.

Observons également comment désormais, sur des cas comme ceux-ci, les grands médias nationaux « légitimes » n’hésitent plus à relayer, amplifier et donc légitimer la pourriture initialement postée sur la fachosphère du net, tout en donnant la parole aux chiens de garde d’Israël pour qu’ils diffament encore plus la jeune chanteuse par des accusations totalement gratuites et outrancières.

Ainsi du sempiternel Gilles-William Goldnadel, avocat, chroniqueur et président du lobby France-Israël qui, dans une abjecte colonne au Figaro, décrit Mennel et la « jeunesse islamique » qu’elle est censée représenter comme une « radicalisée » endoctrinée et lobotomisée par des « gens qui la manipuleraient » (et ce sont ces individus-là qui après viennent nous parler de « complotisme » !).

Selon lui, Mennel serait également une version féminine de Ramadan, car tout comme le théologien, elle pratiquerait hypocritement « le double discours » des « islamistes » et serait de mèche avec les « Frères musulmans ». On reconnaît les vieux thèmes à la Caroline Fourest, ici recyclés par un lobbyiste sioniste pour flinguer l’icône montante de la Muslim Pride française. Nobles alibis

À moins d’être dans le déni et la mauvaise foi la plus complète, il est également évident que les prétextes avancés pour éliminer ces deux icônes de la nouvelle « Fierté islamique » francophone et occidentale ne sont aucunement les véritables raisons de l’opération-purge.

Dans le cas de Mennel, on a parlé du nécessaire « respect des victimes du terrorisme » (les morts ont beau dos dans la fachosphère et ceux qui la relaient), de la nécessité d’avoir un « comportement irréprochable » pour ce show « familial », et autres hypocrisies intégrales. Exige-t-on en effet la même intégrité irréprochable de la part des autres vedettes citées plus haut ou des journalistes comme Zemmour, dont le rôle et la responsabilité vis-à-vis des citoyens et de la nation sont nettement plus importants que pour une chanteuse débutante dans un télé-crochet ?

Il suffit d’ailleurs de lire le torrent de bile haineuse qui s’est déversé sur la jeune musicienne ainsi que les dérapages auxquels l’affaire a donné lieu pour voir clairement que les motifs du grief contre elle sont en fait tout autre : ainsi, on lui reproche de porter le voile et d’afficher par là sa qualité de musulmane, de faire de « l’entrisme islamique en prime time » (« entrisme » étant ici un mot codé pour dire en fait « exister » sans cacher sa foi), d’avoir partagé sur ses comptes des livres de Tariq Ramadan (quel crime de s’intéresser aux ouvrages de celui qui fut professeur à Oxford avant toute cette affaire !), de soutenir l’association humanitaire islamique Baraka City (elle aussi régulièrement accusée sans preuve aucune de faire de « l’entrisme islamiste »), d’être elle-même une « islamiste » (sans aucune définition de ce mot-épouvantail, comme d’habitude, qui semble ici simplement dire « une musulmane visible et sans honte de sa religion »), de chanter en arabe (magnifique amalgame arabe = terroriste), d’être membre de l’association féministe Lallab, de parler un « double langage » (comme Fourest avec Ramadan, le thème de la « taqiya » cher aux islamophobes), d’être soi-disant proche du mouvement de boycott contre Israël BDS, et peut-être surtout, de soutenir avec force et conviction mais sans haine aucune ou appel à la violence la cause palestinienne, comme à son habitude à travers la musique.

Toutes raisons qui ont donc bien peu à voir avec le « respect des victimes de Nice » mais qui ciblent toutes sa visibilité musulmane et ses engagements civiques. Comme le chantait déjà Médine, « Tous les jours au centre de la cible, car tous les jours je suis muslim ! ».

Son engagement pour la Palestine, en particulier, et sa magnifique chanson devaient en rendre nerveux plus d’un : du fait de son incroyable charisme, talent et popularité montante surtout auprès des jeunes, Mennel était la personne idéale susceptible de booster un peu cette cause, moribonde en France suite à l’adoption par les gouvernements Sarkozy, Hollande et Macron d’une ligne entièrement et inconditionnellement pro-israélienne et à la tentative, aussi sournoise que certaine, de délégitimer, voire criminaliser, cette cause et le soutien qu’on peut lui apporter.

Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que Mennel soit depuis le départ dans la ligne de mire de pas mal de gens.


* Alain Gabon est professeur des universités et maître de conférences en Études françaises aux États-Unis. Il dirige le programme de français de l’Université Wesleyenne de Virginie et est l’auteur de nombreuses conférences et articles sur la France contemporaine et l'islam en Europe et dans le monde pour des ouvrages et revues universitaires spécialisés, des think tanks comme la Cordoba Foundation en Grande-Bretagne, et des médias grands publics comme Saphirnews ou Les cahiers de l’Islam. Un essai intitulé « Radicalisation islamiste et menace djihadiste en Occident : le double mythe » a été publié en septembre 2016 par la Cordoba Foundation.

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