"Qu'est-ce que j'vais faire ?..."

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La neige recouvre mon courtil et la campagne alentour. Pigeons et tourterelles se terrent en silence sous les branches des sapins, merles et moineaux se replient à l’abri des buissons, seuls quelques rouges-gorges et mésanges charbonnières osent s’aventurer autour des graines mises à leur intention sur la terrasse.

Aucune tâche urgente n’obligeant le jardinier à quitter sa cheminée, c’est sans remord aucun que je m’installe dans mon fauteuil. Mais que choisir ? Écouter la deuxième symphonie de Franz Schubert par l’Orchestre Symphonique d’Anvers et me replonger dans l’ardu Homme inutile de Pierre-Noël Giraud ? Ou regarder à la télévision un vieux film en noir et blanc cent fois vu et revu ? Je choisis la paresse.

Rares sont hélas les chaînes qui évitent les réclames. Celles diffusées l’après-midi s’adressent, en priorité, à un public réputé canonique, avachi dans le canapé et victime d’arthroses chroniques, de rhumatismes articulaires, de varices hémorragiques et de phlébites potentielles, de fuites urinaires sinon d’incontinence, de transit paresseux, de prostate emphatique et d’impuissance sexuelle, de lombalgie permanente, de gastrite inflammatoire et d’angine de poitrine, de prothèse dentaire fuyante, de dégénérescence maculaire, de carence auditive, de peau défraichie et de pertes de mémoire.

Pour faire diversion entre deux annonces promettant un retour idyllique à une jeunesse éternelle, sont intercalées des publicités pour femmes au foyer. On leur vante ainsi de succulents plats cuisinés qui ne demandent aucun effort de préparation et offrent malgré tout les cinq fruits et légumes obligatoires.

On voit ainsi des chefs toqués touiller des sauces indéfinissables et des notoriétés du petit écran au sourire professionnel distiller leurs conseils. Il est toutefois recommandé par l’expert en nutrition qui suit de n’en consommer que rarement et en modestes quantités à cause d’éventuels additifs artificiels propices aux allergies, aux cancers, aux cholestérols, aux chutes de libido sinon même spermicides. De n’ajouter ni sel, ni sucre dont ils sont déjà grassement pourvus. Et de pratiquer un sport tel que la marche nordique sur les plages de Bretagne, la natation en centre de cure thermale en Auvergne, l’exploration forestière dans les Monts du Jura ou la vélocipédie en salle avec contrôle permanent du rythme cardiaque et massages à l’huile essentielle de genévrier.

À l’occasion de la préparation des dernières fêtes de Noël, ma petite voisine Anaïs demandait pourquoi on fabriquait des jouets aussi chers puisqu’on ne pouvait jamais les acheter. On pourrait tout autant s’interroger sur l’opportunité de fabriquer et de vendre des denrées si impropres à la consommation. À moins que ce ne soit une manière détournée d’inciter les sédentaires à "bouger", comme ils disent !

À contrario, sortir du canapé est-il toujours aussi indispensable à une bonne santé si l’on n’ingurgite pas d’aussi nuisibles nourritures ?

Quoi qu’il en soit, on voit par-là que le téléspectateur qui ne pratique aucun sport, délaisse le jardinage et ignore la lecture est d’abord considéré comme un corps à soigner et un ventre à remplir et rarement comme un cerveau à enrichir en éléments de réflexion et dont il faut muscler les neurones, stimuler les synapses et dynamiser les influx nerveux.

Ce qui laisse tout de même bien des choses à penser à ceux qui le peuvent encore et qui décident néanmoins de ne rien faire dans les règles de l’art. (Lire L’homme inutile de Pierre-Noël Giraud, éditions Odile Jacob.)

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