Un sanglot nommé Gaza

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Il arrive un moment où vient la sensation que l’on se répète encore et encore, pour rien, pour pas grand-chose de concret, pour aucun changement. En somme, une oppression, un à-quoi bon, contre lesquels il est dur de lutter. Cela vaut pour nombre de sujets d’actualité.

La situation politique et économique en Algérie, la tragédie syrienne ou le drame profond des Palestiniens. Ce qui vient de se passer à la « frontière » de Gaza, cette tuerie qui n’est rien d’autre que l’affirmation d’un pouvoir total de vie et de mort sur une population sans défense, fait réapparaître ce sentiment qui mêle colère, indignation, amertume et sanglots.

Tuerie gratuite, délibérée, et qui, sur le plan international, a de fortes chances de rester impunie. Nous le savons tous. Dans la hiérarchie mondiale, l’Etat israélien occupe une place à part. Comme l’OAS jadis, il frappe où il veut et quand il le veut, sûr de son bon droit et du soutien indéfectible des Etats-Unis, première puissance planétaire.

Il arrive parfois que Washington manifeste quelques irritations et laisse passer des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sans opposer son véto. La dernière fois, c’était en décembre 2016 à propos de la condamnation de la colonisation (laquelle ne s’arrête jamais). Le cadeau d’adieu de Barack Obama à son « ami » Benyamin Netanyahou… Mais avec Trump, retour à la case du « feu vert permanent ».

Israël peut aussi compter sur la lâcheté de l’Union européenne (UE) et de ses membres. Oh, bien sûr, certains d’entre eux ont fait état de leur « préoccupation ». D’autres, comme la France, ont même fait preuve de courage intrépide en demandant à Tel Aviv d’agir avec une « plus grande retenue ».

Mais point de sanctions. Pas même l’esquisse d’une réflexion en ce sens. Suspendre l’accord d’association ? Impensable. Mettre le frein sur certains accords de coopération technique et scientifique ? Inenvisageable. Car, après tout, qu’est-ce que la vie d’un Palestinien ?

C’est le fond du problème. Pour les chancelleries européennes, les Palestiniens sont des morts en sursis. C’est leur état naturel. Ils seraient ainsi destinés à subir ce qu’ils subissent. Une gamine de dix-sept ans emprisonnée, sexuellement harcelée par son interrogateur, cela ne déclenche guère de protestations. La « communauté internationale » fait avec…

Des jeunes que l’on arrête et que l’on détient sans raison, au nom d’une disposition qui remonte au protectorat britannique ? Que voulez-vous, mon bon monsieur, nous n’y pouvons pas grand-chose… Et puis, vous savez, le poids du passé… Imaginons un seul instant quelles auraient été les réactions des Européens (ne parlons même pas des Etats-Unis) si les morts avaient été Israéliens…

En France, dans la hiérarchie de l’information, la tuerie de Gaza est passée loin derrière la grève des cheminots, la météo incertaine, la finale de la coupe de la ligue et la chasse aux œufs de Pâques. Rien d’inhabituel. Nombre de mes confrères ont relevé les « perles » de cette couverture faussement objective, où le bourreau est toujours présenté de manière positive tandis que même la supériorité morale de la victime est niée. « La manifestation a fait seize morts » expliquait une radio d’information en continu.

Règle de base respectée : ne jamais, mais jamais, désigner Israël comme coupable de quoi que ce soit. L’Etat hébreu se défend, réplique, riposte, anticipe mais la faute est ailleurs.

Le coupable, c’est la victime. Elle a forcément tort. Elle a mal voté, elle est extrémiste, elle ne respecte pas sa propre vie – ou celle de ses enfants. Mais quelle idée était la sienne de manifester sur son propre sol (du moins, supposé tel) ? Et c’est ainsi qu’est distillé le message implicite : les Palestiniens, contrairement à ce que prétend leur Poète, n’aiment guère la vie. Pire, ils sont les responsables de leur (mauvais) sort.

Autre moyen d’instiller le poison. Evoquer le rôle du Hamas (pour faire couleur locale, c’est-à-dire israélienne, prononcer Khamas…). Laisser entendre qu’il aurait sa part de responsabilité, qu’il aurait envoyé des terroristes (bien appuyer sur les « r », là aussi, pour faire couleur locale) à la « frontière » ou qu’il aurait délibérément sacrifié la vie de jeunes gens manipulables à souhait.

Mais revenons à ce terme de frontière. Quel beau moyen de masquer la réalité. Ce qui sépare l’Etat d’Israël, membre des Nations Unies, et l’enclave de Gaza, prison à ciel ouvert, sans souveraineté aucune, ni sur son sol, ni sur les airs ni sur la mer, ce sont des murs, des clôtures, des grillages, des fossés.

Gaza n’est pas un Etat. La Cisjordanie n’est pas un Etat. Il n’y a pas d’Etat palestinien. Il n’y a pas de face-à-face entre deux pays, ayant chacun leur souveraineté, leur armée. Il y a un dominant et un dominé. Un colonisateur et un colonisé, un Etat et des proto-bantoustans.

Soutien indéfectible des Etats-Unis, lâcheté des Européens, Israël peut aussi compter sur la pusillanimité des pays arabes. « Notre malheur, c’est aussi le monde arabe » me dit un jour un ami palestinien de Bethléem.

Rien de plus vrai surtout quand on pense à cette brute saoudienne qui, en ce moment, secoue ses bourrelets et exhibe ses pétrodollars pour convaincre Israël de faire (à sa place) la guerre à l’Iran. Et voilà ce principicule et futur roitelet qui nous rappelle à une vérité contemporaine : pour lui et pour l’engeance à laquelle il appartient, les Palestiniens ne comptent pas.

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