La détente qui prévaut dans la péninsule coréenne depuis le début de cette année a beau faire partie de l’actualité internationale, les images que nous avons eues devant les yeux il y a deux jours n’ont pas manqué de nous laisser quelque peu incrédules : est-ce bien ce Kim Jong-un qui, il y a quelques mois, trônait sur son pays en agitateur de guerre nucléaire, faisant voler ses missiles intercontinentaux par-dessus la tête des Japonais, menaçant des îles américaines du Pacifique du feu de ses ogives, triomphant au spectacle de ses engins dont il assurait que les côtes ouest des Etats-Unis n’en seraient pas épargnés en cas de conflit ?
Est-ce bien le même homme qui, face à la pluie des condamnations et des mesures de rétorsion commerciale qu’il attirait sur son pays, restait inébranlable, narguant de façon insolente la communauté des puissants de cette planète ?
On ne sait si les sanctions ont eu raison de sa dureté. On peut le supposer. Mais, si cela est vrai, on ne s’explique pas pourquoi le bonhomme – le « monstre » devrait-on dire – s’est transformé comme par enchantement en un personnage riant, sympathique et tout dévoué à la cause de la paix dans la région et dans le monde.
On se dit une fois de plus qu’on a été peut-être les victimes naïves d’une sorte de jeu de marionnettes, où l’on nous montre tantôt des gentils, tantôt des méchants, au gré d’un récit dont nous n’avons pas le secret… Mais au mépris de la vraie nature des hommes, à supposer toutefois qu’il y en ait une !
Car qu’avons-nous vu ? Bien sûr, les caméras n’ont pas laissé les choses au hasard dans cette rencontre entre Kim Jong-un, le leader nord-coréen, et Moon Jae-In, le Premier ministre sud-coréen. Mais les sourires entre les deux hommes, la longue poignée de main et l’échange de quelques mots, le geste du nord-coréen entraînant son vis-à-vis de l’autre côté de la ligne frontalière qu’il venait lui-même de franchir l’instant d’avant pour répéter la scène de la poignée de main… Puis l’arrivée des deux enfants, une fille et un garçon, symboles de cet avenir dont la fraîcheur plonge ses racines loin dans le passé du pays et de son unité, et le fait qu’ils soient tenus par les deux hommes, debout côte à côte, en une symbolique qui ne trompe pas…
Tout cela ne peut se réduire à de la froide mise en scène. Et si mise en scène il y a, et on ne doute pas qu’il y en ait, avouons que le bonhomme s’y prête avec une force de conviction qui nous a tous pris de court.
Quelles que soient les discussions qui ont eu lieu par la suite dans cette zone démilitarisée qui sépare les deux Etats, le spectacle de la rencontre à lui seul est un événement politique de premier ordre. L’histoire se gardera de l’omettre dans ses annales.
On sait toutefois que les deux hommes ont dû parler de tout ce qui est de nature à « améliorer les relations intercoréennes et parvenir à la paix, la prospérité et la réunification ». C’est en tout cas ce que précise l’agence officielle nord-coréenne… On note toutefois que la dénucléarisation n’est pas évoquée. Et c’est ce qui a amené beaucoup d’observateurs à considérer qu’il convenait de tempérer l’optimisme autour de l’entrevue entre les deux dirigeants coréens.
En réalité, le dossier nord-coréen comporte deux volets, l’un qui se négocie avec la Corée du sud, l’autre qui se négocie avec l’administration américaine. Les deux sont en grande partie liés, mais impliquent des démarches distinctes. Et on peut aisément comprendre que, malgré toutes les bonnes dispositions dont il fait preuve sur le terrain du premier volet, Kim Jong-un ne va pas renoncer à des décennies de recherches et d’investissements afin de se doter du statut de puissance nucléaire à part entière.
Trump exige une dénucléarisation « totale, vérifiable et irréversible », mais le leader nord-coréen veut de son côté des garanties de non-agression… La prochaine rencontre entre ce dernier et le président américain, prévue dans les semaines qui viennent, nous dira dans quelle mesure ce problème admet une solution et quelle forme elle va prendre.