Il est rare que des élections démocratiques et transparentes, entachées probablement de quelques irrégularités, n’aboutissent pas à des résultats qui soient satisfaisants pour les uns et décevants pour les autres, or, le scrutin municipal tunisien semble avoir dérogé à cette règle.
En effet, et hormis les succès de quelques listes réellement indépendantes à La Marsa ou à l’Ariana, obtenus grâce au désaveu cuisant de la classe politique actuelle d’une part, et à la désaffection des électeurs d’autre part, les résultats de ce scrutin s’apparentent à un camouflet cinglant à l’adresse de tous les partis politiques tunisiens, toutes tendances confondues.
Le taux d’abstention qui avoisine les 70% exprime d’une manière éclatante le désenchantement des électeurs tunisiens et leur méfiance croissante à l’égard d’une classe politique incapable de composer avec les défis que sont la lutte contre le chômage et la pauvreté, la réduction des inégalités sociales et régionales, l’amélioration des conditions d’existence du tunisien, la réhabilitation des secteurs sinistrés tels que l’école publique et la santé publique, la modernisation de l’Etat et de ses institutions, le combat permanent contre la corruption et la bureaucratie vénale….
Sept ans après la Révolution, L’Etat semble être aux abois et otage de querelles politiques et idéologiques qui entravent son fonctionnement et menacent sa neutralité. D’autant plus que la nouvelle Constitution Tunisienne peine à être appliquée en l’absence d’une Cour Constitutionnelle veillant sur la constitutionnalité des lois et exerçant son autorité pour que d’éventuelles dérives mettant en péril le processus démocratique ne se produisent pas.
Dans ce climat délétère, empreint de méfiance et d’incertitudes voire de lassitude et d’accablement, il serait incongru d’exiger du citoyen d’être optimiste, de renoncer à son scepticisme et de participer à ces élections locales, pourtant importantes en matière de décentralisation et de pouvoirs accrus attribués par l’article sept de la Constitution aux municipalités, renforçant ainsi leur autonomie.
Cependant, ce qui mérite d’être souligné, c’est l’extrême désinvolture avec laquelle l’ensemble de la classe politique a accueilli ce désaveu car en dépit de l’affront et des scores modestes obtenus par les vainqueurs et les vaincus, tous semblent être contents de cette bérézina annoncée, comme si ce taux d’abstention retentissant n’avait pas réussi à éveiller en eux quelques soupçons relatifs à leurs déboires passés et récents et comme si cette sanction n’en était pas une !
Multipliant circonlocutions pédantes, euphémismes et litotes, effets de manche grotesques et alibis risibles, ils se dérobent à leurs responsabilités et refusent d’assumer la paternité d’une défaite qui n’a rien d’anodin ou d’accidentel, puisque son caractère brutal lui confère plutôt les traits d’une déconfiture.
Leur prouesse consiste à avancer des arguments pittoresques pour justifier ce camouflet électoral et minimiser son impact sur la vie politique tunisienne alors qu’il n’est pas excessif d’affirmer que c’est d’un séisme qu’il s’agit dénotant la fracture qui existe entre la classe politique et les citoyens tunisiens , classe politique dont la surdité est à tout le moins insupportable et pénible !
Pourtant, cette faible participation des électeurs sonne comme un glas et les plus avisés parmi les commentateurs politiques ont compris le sens de cet avertissement, qui révèle entre-autres l’impatience du Tunisien et son rejet des promesses démagogiques et populistes proférés par des professionnels du leurre et de l’imposture, carriéristes sans vergogne, obnubilés par les fastes et privilèges du pouvoir et complètement en retrait par rapport aux besoins réels de la population.
Ce déphasage s’accentue au fil des jours et alimente une défiance de plus en plus prononcée vis-à-vis d’une pratique politique jugée opportuniste, malsaine et privée de cette envergure que lui confère un grand projet de société vertueux reposant sur des idéaux partagés.