Le rôle indûment imputé à Bourguiba Dans les événements des 8-9 avril 1938

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La lecture "historique" plaçant Habib Bourguiba au cœur des événements des 8-9 avril 1938, version édulcorée à certains égards et tronquée à d'autres, est celle des historiens officiels du bourguibisme (Charles André Julien, et Roger Cousin entre-autres). Une lecture critique, étayée par une solide documentation, amènera l'historien à une manière de voir plus nuancée.

En fait, l’ensemble des documents historiques qu’il nous a été donné de consulter atteste unanimement que Habib Bourguiba n’avait nulle participation active aux événements des 8 et 9 avril 1938, alité qu’il était, suite à un « rhume » selon sa propre expression. Ce qui expliquerait qu’il n’était pas aux nombre des victimes, en centaines entre blessés et martyrs- de la répression militaire du colonisateur français, ni même parmi les manifestants arrêtés les 8 et 9 avril pour avoir participé aux dites émeutes.

Certains « historiens » persévérant dans la voie du travestissement de l’histoire et sacrifiant à l’opportunisme politicien en sont arrivés à faire de Béji Caïd Essebsi l’un des meneurs desdites émeutes, alors que le susnommé n’avait à l’époque des faits que 12 ans ! Et que l’on n’a recensé aucune activité politique de Béji Caïd Essebsi avant les secondes noces de Bourguiba avec Wassila Ben Ammar (1962).

A contrario, le nom de Ali Belhouane, véritable initiateur et leader des événements des 8-9 avril 1938, n’est cité par les historiens de l’"establishment" qu’incidemment. Premièrement, parce qu’il venait d’un horizon socio-politique qui n’avait aucun lien avec Bourguiba. Philosophe, de formation et de métier, il était plus en rapport avec les milieux des jeunes intellectuels tunisiens. A telle enseigne qu’il fut surnommé le « leader de la jeunesse ». Et c’est à ce titre, et en nul autre, qu’il donna le 10 mars une conférence sur le « rôle de la jeunesse dans la bataille de libération nationale » à laquelle 700 élèves de différents établissements scolaires assistent.

Au reste, les harangues que Ali Belhouane adressa devant le Résidence Générale, en ce 8 avril 1938, préludant les fameuses émeutes du 9 avril, devant une foule estimée à 100 mille tunisiens, ne font nulle référence à Bourguiba. Jugez-en plutôt : « Nous sommes venus en ce jour pour montrer notre force, la puissante force de la jeunesse qui va détruire et vaincre les structures coloniales avec ses atrocités. Nous sommes réunis en ce jour pour montrer notre force devant cet impuissant – en montrant la résidence générale de France – A tous ceux qui croient en la cause Tunisienne, à tous ceux qui croient en un parlement Tunisien, le parlement tunisien ne peut se créer que sur les corps de nos martyrs et ne peut se construire qu’avec les bras des jeunes !

Luttez au nom de Dieu, si vous vous trouvez devant l’armée française ou la gendarmerie, disséminez-les dans le désert et faites-en ce que vous voulez, vous êtes les propriétaires de cette nation et ce sont eux les étrangers dans votre pays !

… le gouvernement colonial nous a interdit de lever notre drapeau, et voilà qu’on le lève dans cette place malgré lui ! Il a interdit toute manifestation, et voila que nous manifestons et que nous remplissons les avenues avec des femmes, des hommes et des enfants qui crient des slogans et sont pleins d’enthousiasme. »

En second lieu, minimiser le rôle de Alî Belhouane dans les dits-événements, non seulement, diminuait le risque de le voir faire de l’ombre au Combattant Suprême, mais aussi minimisait le risque de ternir l’image du Père de la nation, tant il est vrai que la responsabilité de Bourguiba était, indirectement certes, engagée dans le décès de Alî Belhouane.

Béji Caïd Essebsi rapporte qu’il avait était témoin, d’une entrevue orageuse, qu’A. B., en sa qualité de Maire de Tunis, a eue avec le Président de la République, le 10 mai 1958. Belhouane aurait même confié, au sortir de ce bref entretien à Béji Caïd Essebsi et avec beaucoup d’amertume qu’il avait été atteint dans sa dignité d’homme. Quelques heures plus tard, il était décédé d’une fatale crise cardiaque, alors qu’il n’avait pas dépassé les 49 ans.

S'agissant du mot d'ordre "indépendantiste", pompeusement attribué au "Combattant suprême" dès 1934, n'est-ce pas Bourguiba qui déclarait encore jusqu’au mois de mars 1937: "l'union indissoluble entre la France et la Tunisie constitue toutes les revendications du Néo-Destour"?

S'agissant de la non-participation de Bourguiba aux événements des 8 et 9 avril 1938, le fait est attesté par Mahmoud Materi qui va jusqu'à préciser que le président du néo-destour était, non seulement, chez lui lors des événements, mais, enrhumé en plein mois d'avril et dans la force de l'âge (35 ans-?), il était alité.

En outre les arrestations de tous les acteurs des dits événements (Salah Ben Youssef, Slimène Ben Slimène, Youssef Rouissi, Belhouane, Nouira, Mahmoud Bourguiba...) ont eu lieu entre les 8 et 9 avril. Curieusement celle d’Habib Bourguiba n'interviendra que le 10 avril.

Mieux encore les chefs d'inculpations retenus à l'encontre des premiers variaient de l'incitation à la haine raciale et d'atteinte aux intérêts de la France en Tunisie à un évasif complot contre la sureté de l'Etat à l'encontre du second.

Compte tenu de ce qui a précédé, ne serait-il pas légitime de crier à l’injustice historique ? Ne perdons pas espoir, cependant, de voir nos historiens de formation et métier s’atteler à une approche critique de la version trop officielle de l’histoire du mouvement national et accorder, ce faisant, à chacun son dû.

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