Le grand écart de la diplomatie française au Yémen

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Il est un terrain, celui de la gestion de la crise yéménite où le “en même temps” présidentiel touche plus manifestement encore qu’ailleurs ses limites. Lorsque, sous prétexte qu’il est un bon client pour son industrie d’armement, la France s’engage au Proche-Orient aux côtés de l’un des pires va-t-en guerre de la région et souhaite dans le même temps vanter l’intensification et la diversification de ses ambitions humanitaires et pacifistes, la communication a du mal à passer.

Et l’on se prend à penser que cette ambition de toucher, comme on dit familièrement, “le beurre et l’argent du beurre” en faisant une chose (guidée par un agenda clientéliste et militaire) et son contraire (se réclamer d’une partition humaniste) atteint ici ses plus criantes limites.

Après trois ans d’une guerre faite d’affrontements au sol, de bombardements aériens et d’un blocus sévère qui ont conduit au délitement complet des services publics, l’ampleur des besoins des Yéménites - au premier rang desquels la nutrition infantile et la prévention des épidémies - est telle qu’il serait bien évidemment très malvenu de condamner en tant que tels les efforts de Paris et de Riyad sur le terrain humanitaire.

Ces efforts ont débouché sur une initiative, annoncée le 10 avril au cours de la visite en France du prince héritier Mohammed ben Salmane, de convier, à Paris le 27 juin, les donateurs susceptibles de se mobiliser au bénéfice du Yémen. Sachant que les deux co-organisateurs de la conférence sont, chacun dans sa catégorie, des co-belligérants directement impliqués dans cette guerre, il est toutefois bien difficile de ne pas souligner la part d’hypocrisie d’une telle initiative.

En même temps la paix et la guerre ?

L’annonce, le vendredi 14 juin par Paris, de sa volonté de participer aux efforts de déminage du port de Hodeida soumis depuis le 12 juin à l’assaut des troupes de la coalition ne change rien à la donne. Elle confirme au contraire l’ambiguïté de la ligne d’action française. Celle qui prétend soigner d’une main les dégâts que, dans le meilleur des cas, elle a laissé causer par ses alliés saoudiens et émiratis, et auxquelles, dans le pire des cas, elle a en réalité contribué elle-même de l’autre main, par ses armes et munitions d’une part mais également par ses divers appuis logistiques.

Du ciblage satellitaire des bombardements jusqu’à l’aide directe des forces spéciales, ces appuis, se poursuivent malgré les avertissements venus des propres rangs de la majorité présidentielle. Plusieurs parlementaires - fût-ce de leur propre initiative - sont allés se féliciter bruyamment, dans la province de Mareb contrôlée par les Saoudiens, de l’excellence des efforts humanitaires de leurs hôtes.

A l’initiative de Sébastien Jadot (LREM), d’autres parlementaires tentent en revanche de mettre sur pied une commission d’enquête sur les ventes d’armes aux Emirats et à l’Arabie. Dans une lettre adressée au chef de l’Etat, une quinzaine d’ONG ont “exhorté la France à faire pression sur l’ensemble des belligérants pour qu’ils s’engagent dans les efforts de paix de l’Envoyé spécial de l’ONU”.

Sur le terrain, avec l’assentiment actif des Occidentaux, l’assaut aérien, maritime et terrestre de la coalition se poursuit pourtant imperturbablement. Pourquoi ? Sans doute parce que l’une des clefs de la pérennité mortifère de la campagne saoudo-émiratie est la facilité avec laquelle ses promoteurs ont réussi à la faire entrer en résonance avec l’obsessionnel agenda anti-iranien de l’administration Trump et de tous ceux qui répugnent à prendre le risque de s’y opposer.

La première des interventions humanitaires, a-t-on envie de redire aujourd’hui, consisterait bien plus utilement à convaincre Riyad et ses soutiens de l’impasse de son option du “tout militaire”. Et fût-ce avec des Houthis dont les pratiques ne sont bien évidemment pas exemptes de travers, à l’encourager à envisager une solution réalistement négociée tant il est peu vraisemblable que même en cas de reprise de Hodeida, les mercenaires émiratis ou les milices salafies recrutées au Sud, qui constituent aujourd’hui la colonne vertébrale des troupes au sol de la coalition, puissent parvenir ensuite à l’emporter militairement.

A défaut, il restera à espérer que les généreux efforts de la main “gauche” humanitaire de la France suffiront à pallier les ravages que tolèrent ou encourage l’opportunisme et le clientélisme de sa main “droite” militaire, qui est aujourd’hui en train de permettre, encore et encore, à la crise de perdurer.

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