Tous les manuels historiques vous le confirmeront : l’un des avatars les plus symptomatiques de la décadence du bas empire romain, fut la prolifération endémique des spectacles à vocation démagogique (au sens étymologique et non pas politicien du terme). Sanguinaires, loufoques, insignifiants, bestiaux… peu importait la teneur du spectacle, l’essentiel était de divertir le corvéable romain !
Il est, cependant, des pieds de nez dont seule l’Histoire détient le secret. Ce même espace, l’amphithéâtre romain, destiné, jadis, à faire diversion, continue 20 siècle plus tard à jouer le même rôle.
Annoncé à cor et à cri, le retour de la « Diva », Amina Fakhet, après une éclipse de 10 ans, était censé exprimer artistiquement l’anti-être islamiste. Elévation, liberté assumée, féminisme productif, morale rationnelle, expression du beau et maîtrise de l’art.
Or, à quoi avions-nous assisté, à un étalage de « border line » (d’excentricités) mal canalisées, mettant en avant un égo, aussi bien individuel celui de l’artiste- que collectif –celui du public-, surdimensionné. Aucune volonté ni désir de communiquer avec l’agora extra-muros, extra-arène en l’occurrence. En somme, un système de communication, si j’ose dire, qui se plaisait à fonctionner en vase clos.
Jugez-en plutôt.
La « Diva » se substituant, en la circonstance, à l’Imâm des pieux musulmans, s’était attribué pour unique tâche de s’assurer de la parfaite maîtrise par le public de la psalmodie de ses ritournelles. Chose, au demeurant, relativement aisée du fait que le répertoire (est-ce bien le sien au reste ?) de l’interprète n’avait pas varié d’un iota depuis une bonne vingtaine d’années.
A charge pour le public d’ânonner à la manière des élèves du Kuttâb, dans une cacophonie, destinée sans doute à agacer sans doute l’oreille du mélomane, les inepties des chansonnettes apprises par cœur, à la manière des récitateurs du Coran.
De spectacle, il n’en eut quasiment point, la « Diva » s’étant cloîtré dans une immuable posture divine, accoutrée à la manière de l’ange Gabriel… tout au plus quelques onomatopées à vague consonance sexuelle, davantage apparentées aux râles du mourant qu’à l’extase érotique, comme pour ponctuer la rupture supposée du spectacle avec les rites religieux qui eux ne sont censés supporter nulle expression de nature sexuelle.
Singulièrement, nous avons relevé les mêmes lacunes, s’agissant de la prestation d’un symbole aussi prestigieux de l’art « progressiste » tunisien, officiant, certes, dans un autre domaine artistique, celui du théâtre.
Là aussi les sources de la création s’étant après, un demi-siècle de bons et loyaux services, vraisemblablement taries, le théâtre du notable Fadhel Jaïbi, n’en est plus un. La fiction participant, peu ou prou, nécessairement à la création théâtrale, ne fait plus partie des contraintes du métier exercé par ce gentilhomme. S’adressant à son public à la manière du prêcheur, le harangueur ne prend même plus la peine d’entourer son propos des artifices propres aux gens du spectacle.
C’est que l’on entre au théâtre de M. Jaïbi comme l’on entre au catéchisme. Le discours des comédiens, à supposer qu’ils en soient encore, est non seulement direct, mais pire encore moralisateur, du même acabit que celui des prêtres.
C’est en cela que le phénomène nous semble être plus que nuisible à l’équilibre de notre société. Alors que l’islamisme politique est en passe d’allier le geste au verbe, les forces dites modernistes et progressistes, sans doute en panne d’inspiration, n’arrivent pas à renouveler leur discours, ni leurs pratiques. De sorte, qu’elles ont tendance à se renfermer sur leur propre crédo… à la manière, fort préjudiciable à la notion de la citoyenneté, des intégristes, sectaires au possible.